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Transmission d’une QPC portant sur l’article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce

Dans un jugement du 10 mai 2022[1], le Tribunal de commerce de Paris a transmis à la Cour de cassation une QPC portant sur la potentielle méconnaissance par les dispositions de l’article L. 442-1, I, 1° du code de commerce, des droits et libertés garantis par la Constitution, tels que la liberté contractuelle ou la liberté d’entreprendre. Principal enjeu : la capacité donnée au juge avec la rédaction issue de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019[2], d’effectuer « un pur contrôle du prix », y compris dans des contrats ayant fait l’objet d’une libre négociation.

  1. Le contrôle du prix par le juge, une préoccupation déjà présente avec les dispositions de l’ancien article L. 442-6 du code de commerce

La question du contrôle par le juge du prix du contrat sur le fondement des dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence a suscité ces dernières années un débat fourni, et a connu de multiples rebondissements tant judiciaires que constitutionnels avec la célèbre affaire Galec.

La question transmise à la Cour de cassation dans l’affaire qui nous occupe, dont on notera qu’elle oppose l’ILEC[3] à la société AMAZON EU SARL, rappelle ainsi celle ayant abouti à la décision n° 2018-749 QPC du Conseil constitutionnel en date du 30 novembre 2018 (dite « Interdis »), dont fait d’ailleurs mention le Tribunal de commerce de Paris. Cette précédente décision portait sur les dispositions du 2° du paragraphe I de l’article L. 442-6 du code de commerce, relatives au déséquilibre significatif. L’enjeu d’alors était de déterminer si était conforme à la Constitution le contrôle du prix permis par ces dispositions depuis l’arrêt emblématique rendu par la Cour de cassation en 2017 dans l’affaire Galec[4]. Le Conseil constitutionnel avait répondu positivement.

Le tribunal, confronté au moyen formé par l’ILEC et tiré de ce que les dispositions examinées avaient donc déjà été déclarées conformes à la Constitution, juge néanmoins qu’elles diffèrent considérablement dans leurs champs d’application et leurs conditions d’application respectifs. En effet, la présente question portant sur l’avantage sans contrepartie et non sur le déséquilibre significatif, une « soumission » n’étant alors pas nécessaire pour que les dispositions s’appliquent. Le tribunal relève également que si les anciennes dispositions de l’article L. 442-6 s’appliquaient uniquement au « partenaire commercial », notion qui impliquait – au moment où le Conseil constitutionnel s’est prononcé – une relation commerciale s’inscrivant dans la durée, la nouvelle formulation de l’article L. 442-1 est plus large et s’appuie sur la notion « d’autre partie »[5].

C’est sur le fondement de cette distinction que le tribunal de commerce de Paris a retenu qu’était satisfaite la condition selon laquelle la disposition législative critiquée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

  1. Une atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre qui pourrait être jugée disproportionnée – ce qui serait très ennuyeux pour les fournisseurs demain !

Le tribunal souligne que les dispositions relatives à l’avantage sans contrepartie, dans leur rédaction actuelle, permettent au juge « d’effectuer un pur contrôle du prix y compris dans des contrats ayant fait l’objet d’une libre négociation entre des parties ayant une force de négociation similaire ». Il met surtout en lumière la tension entre ces pouvoirs étendus du juge et le raisonnement suivi par le Conseil constitutionnel dans sa décision Interdis.

En effet, le Conseil constitutionnel avait considéré dans sa décision de 2018 que les dispositions relatives au déséquilibre significatif étaient bien constitutives d’atteintes à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, mais qu’elles poursuivaient un objectif d’intérêt général, à savoir « rétablir un équilibre des rapports entre partenaires commerciaux ». Le Conseil, mettant en balance ces deux impératifs, avait alors considéré que l’atteinte n’était pas disproportionnée.

En revanche, l’avantage sans contrepartie pouvant être retenu sans que soit nécessaire la caractérisation d’une soumission ou tentative de soumission, l’atteinte portée aux droits et libertés garantis par la Constitution pourrait apparaître d’autant plus importante pour les juges constitutionnels de la rue de Montpensier, tout en étant plus difficile à justifier, ce qui selon l’analyse du tribunal pourrait la rendre disproportionnée. Ce constat pourrait être renforcé par le fait que les dispositions de l’article L. 442-1 s’appliquent désormais à tous types de rapports commerciaux et de contreparties.

Considérant donc que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux, le tribunal a transmis celle-ci à la Cour de cassation qui sert de filtre.

La question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Tribunal de commerce de Paris :

« Les dispositions de l’article L. 442-1, 1, 1° du code de commerce, prises dans leur rédaction issue de l’ordonnance n°  2019-359 du 24 avril 2019 et maintenue inchangée par les lois n° 2020-1508 du 3 décembre 2020, n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 et n° 2021-1357 du 18 octobre 2021, méconnaissent-elles les droits et libertés garanties par la Constitution telles que la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle, le principe d’égalité devant la loi, la garantie des droits et le principe de légalité des peines ? »

Dossier très épineux avec de forts enjeux à la clé pour le droit de la négociation commerciale et les fournisseurs ; en espérant que ce ne soit pas la boite de pandore qui ait été ouverte …

  1. L’avantage sans contrepartie assiégé : des dispositions passées au crible de la légalité

En parallèle de la transmission de cette QPC à la Cour de cassation, le tribunal ordonne dans un autre jugement du même jour[6] celle d’une question dite préjudicielle au Conseil d’État, portant sur l’éventuelle illégalité des dispositions de l’article L. 442-1, I, 1°. Le tribunal retient ainsi que l’habilitation donnée par la loi Egalim[7] au Gouvernement portait sur la simplification et la précision des dispositions de l’ancien article L. 442-6, « qu’il n’y a donc aucune ambiguïté sur le fait que le Gouvernement n’était pas habilité à modifier le champ d’application ou la portée de l’article », et que par conséquent il pourrait avoir excédé l’habilitation qui lui avait été donnée en élargissant « considérablement » ce champ d’application.

Cette large offensive contre les dispositions sous examen, si elle émane en l’espèce d’AMAZON, ne constitue finalement que la reprise des critiques formées contre l’ordonnance de 2019. Celle-ci entérine en effet la volonté de l’administration de s’appuyer, en matière de contrôle du prix, sur l’avantage sans contrepartie plutôt que sur le déséquilibre significatif. Si cette dernière option était particulièrement attrayante lorsque la soumission faisait l’objet d’une forme de présomption en matière de grande distribution, la remise en cause de cette possibilité par les juges du fond puis par la Cour de cassation[8] avait poussé à un retour en grâce de l’avantage sans contrepartie. Ce d’autant plus que la Cour d’appel de Paris y avait d’abord semblé plutôt favorable[9], avant d’affirmer à l’inverse que « le contrôle judiciaire du prix demeure exceptionnel en matière de pratiques restrictives de concurrence [et] ne s’effectue pas en dehors d’un déséquilibre significatif, lorsque le prix n’a pas fait l’objet d’une libre négociation », concluant que « les dispositions de l’article L.442-6, I, 1° précité ne s’appliquent pas à la réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial »[10].

Ces considérations, relatives aux dispositions antérieures à 2019, mettent en lumière l’écart entre l’interprétation jurisprudentielle qui est faite de ces dernières et la nouvelle rédaction issue de l’ordonnance du 24 avril 2019. On comprend dès lors la transmission par le Tribunal de commerce de Paris de la question préjudicielle précitée car c’est finalement une « patate chaude » pour les juges consulaires qui ont souhaité avoir l’avis du Conseil d’Etat.

*     *     *

Alors que l’ordonnance qui les a instaurées est en cours de ratification, les nouvelles dispositions relatives à l’avantage sans contrepartie passeront donc sous les fourches caudines du Conseil d’État et surtout de la Cour de cassation, avant peut-être un renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel. Un rebondissement qui peut apparaître logique, après que l’ordonnance n° 2019-359 ait ouvert la possibilité de s’affranchir de l’exigence de soumission dans le cadre d’un contrôle du prix pourtant déjà possible en matière de déséquilibre significatif.


[1] T. com. Paris, 10 mai 2022, n° 2020032138QPC.

[2] Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées.

[3] Institut de liaisons des entreprises de consommation, qui rassemble des entreprises qui fabriquent et commercialisent des produits de grande consommation (PGC).

[4] Cass. com., 25 janvier 2017, n° 15-23.547 qui vient entériner une position progressivement adoptée par la Cour d’appel de Paris.

[5] Sur ce point on notera que l’interprétation restrictive de la notion de partenaire commercial, que met en avant le tribunal dans son raisonnement, a depuis été remise en cause par la Cour de cassation, qui a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui en était à l’origine (CA Paris, 27 septembre 2017, n° 16/00671 ; cassé par Cass. Com., 15 janvier 2020, n° 18-10.512).

[6] T. com. Paris, 10 mai 2022, n° 2020032138.

[7] Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

[8] CA Paris, 20 décembre 2017, n° 13/04879 ; CA Paris, 16 mai 2018, n° 17/11187 ; et surtout Cass. com., 20 novembre 2019, n° 18-12.823.

[9] Considérant que « le ‘service commercial’ tel que prévu par le texte, n’est pas limité à l’application de ces seuls services, ainsi que l’a estimé la commission d’examen des pratiques commerciales, et que l’article L442-6 I 1er s’applique aux ristournes telles qu’elles sont prévues dans les contrats conclus entre les deux parties » (CA Paris, 13 septembre 2017, n° 15/24117). Il convient à ce propos de noter que la CEPC considérait déjà que « la lettre du texte, visant « le service commercial » sans aucune autre précision ni restriction n’en limite pas l’application à ces seuls services et la jurisprudence a pu en faire application à d’autres hypothèses » (avis 15-21 et 15-22), mais doutait encore par exemple « qu’une pratique de remises de fin d’année soit susceptible d’être examinée au regard de l’article L. 442-6-I-1° du code de commerce » (avis 15-24).

[10] CA Paris, 4 novembre 2020, n° 19/09129.

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