Projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (projet de loi « ASAP »)
Après le dépôt à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 (la loi « Egalim ») le 14 janvier 2020 (voir notre note d’actualité à ce sujet), Bruno le Maire et Gérald Darmanin, respectivement Ministre de l’économie et des finances et Ministre de l’Action et des comptes publics, ont déposé au Sénat le 5 février 2020 un projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique.
Ce
projet de loi comprend de nombreuses mesures de simplification de l’action
administrative, exposées dans son
titre IV. Au sein de ce dernier, l’article 44 habilite le Gouvernement à
prendre par ordonnance les mesures nécessaires visant à :
- Prolonger, pour
une période ne pouvant excéder trente mois, l’application des dispositions de
l’ordonnance
n° 2018-1128 du 12 décembre 2018, relative au relèvement du seuil de revente à perte (le « SRP ») et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires ; - Modifier le dispositif prolongé, afin de rétablir des conditions de négociation améliorées pour les fournisseurs, de permettre le développement des produits dont la rentabilité est faible et de parvenir à un meilleur équilibre dans les filières alimentaires.
Le délai d’habilitation du Gouvernement pour prendre ces mesures a été fixé à six mois à compter de la publication de la loi. Ce délai lui permet de tenir compte des conclusions du rapport d’évaluation portant sur les effets de l’ordonnance du 12 décembre 2018, lequel est attendu au plus tard pour le 1er octobre 2020 en vertu de son article 4.
Pour rappel, cette ordonnance, prise en application de la loi Egalim, a mis en place un dispositif expérimental d’une durée de deux ans, prévoyant d’une part la majoration du SRP de 10 %, et d’autre part l’encadrement en valeur (34 % du prix de vente au consommateur) et en volume des promotions (25 % du chiffre d’affaires prévisionnel/du volume prévisionnel pour les produits MDD/des engagements de volume de produits agricoles périssables ou issus de cycles courts de production, d’animaux vifs, de carcasses ou pour les produits de la pêche et de l’aquaculture).
Plus d’un an après l’entrée en vigueur de l’ordonnance, les enseignements tirés quant à ses effets tendent à démontrer que la durée initiale de l’expérimentation n’est pas suffisamment longue pour apprécier son effet réel, et qu’il convient d’en améliorer certains aspects.
L’étude d’impact du projet de loi ASAP affirme que l’application de l’ordonnance n’a abouti qu’à une faible inflation. De décembre 2018 à décembre 2019, l’inflation constatée sur les produits de marques nationales est presque similaire à l’inflation observée entre décembre 2017 et décembre 2018, période non concernée par le dispositif. Pour les produits vendus sous marques de distributeurs, le constat est encore plus flagrant : l’inflation observée entre décembre 2018 à décembre 2019 est moins importante que celle observée entre décembre 2017 et décembre 2018. Ce phénomène s’explique par le déplacement de la guerre des prix des marques nationales vers les marques de distributeurs.
Il est également souligné que la durée de l’expérimentation est trop courte pour observer l’impact du dispositif sur les revenus des agriculteurs. En effet, ces revenus ne sont connus que tardivement et présentent un caractère aléatoire, de sorte qu’il est impossible d’isoler l’impact de l’ordonnance sur une si courte période d’observation.
La durée de deux ans est également insuffisante en raison de l’entrée en vigueur progressive des dispositions prévues par la loi Egalim et notamment de ses textes d’application. Ce n’est qu’en avril 2019 que les derniers textes d’application de la loi Egalim ont été publiés. En raison du calendrier des négociations commerciales, celles-ci devant se conclure à la fin du mois de février, les effets des dernières ordonnances ne sont pas visibles sur les contrats conclus pour l’année 2019, mais seulement pour les contrats conclus en 2020. De plus, en raison de l’absence de calendrier de négociations de contrats entre le producteur et le transformateur, il n’est pas certain que tous les contrats agricoles auront été réécrits en intégrant les nouvelles mesures applicables aux négociations commerciales. Seule l’étude de plusieurs cycles de négociations permettra d’aboutir à une analyse satisfaisante des effets de l’ordonnance.
Enfin, comme observé dans le cadre de la proposition de modification de la loi Egalim, l’encadrement en volume des promotions met en difficulté les PME. Les promotions sont leur principale force d’attraction aux yeux des consommateurs. Dès lors, le fait de limiter les volumes sur lesquels des promotions peuvent être réalisées aboutit à une importante baisse de leur chiffre d’affaires avec la grande distribution. Le périmètre de l’encadrement devra donc être réexaminé (voir à ce sujet les lignes directrices de la DGCCRF relatives à l’encadrement des promotions, modifiées le 16 janvier dernier). A l’inverse, l’encadrement en valeur des promotions ne fait pas l’objet de contestations. Les contrôles réalisés par la DGCCRF ont révélé un faible taux d’anomalies à ce sujet, de l’ordre de
12,5 % pour l’année 2019.
Le prolongement de ces mesures répond à plusieurs objectifs. La majoration du SRP permet d’améliorer les conditions de négociation des fournisseurs auprès de la grande distribution, contribuant à aboutir à une « péréquation » entre les produits, à savoir le rétablissement d’un niveau de marge moyen nécessaire à l’équilibre financier des enseignes. Concernant la prolongation de l’encadrement des promotions, celle-ci est justifiée par le rétablissement d’un équilibre économique dans la filière alimentaire et pour lutter contre le gaspillage alimentaire.
Ce projet de loi a vocation à produire des effets rapidement. Début mars, des discussions en séance publique se tiendront au Sénat à propos de ce texte. En outre, le Gouvernement a engagé la « procédure accélérée », réduisant ainsi la durée des débats parlementaires dans la mesure où il pourra demander, après une seule lecture dans chaque assemblée, la réunion de la commission mixte paritaire. Une fois le Gouvernement habilité par la loi, celui-ci aura six mois pour publier l’ordonnance. Enfin, dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance, un projet de loi de ratification de celle-ci devra être déposé au Parlement, dans le but de lui conférer force législative.
Les modifications des dispositions issues de la loi Egalim se poursuivent ainsi, corrigeant progressivement certaines mesures initiales se révélant inadaptées.
Jean-Christophe GRALL, Avocat à la Cour
Pierre Sinquin