Par une décision du 25 mars 2022, le Conseil Constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du paragraphe VII de l’article L. 470-2 du code de commerce, qui prévoit l’exécution cumulative des sanctions prononcées à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours relevant de pratiques restrictives de concurrence.
Pour rappel, cette décision a été rendue à la suite d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) soulevée par la société Eurelec Trading, centrale d’achat commune au distributeur français E. Leclerc et au groupe allemande Rewe, qui s’est vue infliger plusieurs amendes d’un montant totale de 6 340 000 euros pour 21 manquements à son obligation de signature des conventions conclues avec ses fournisseurs français au plus tard au 1er mars de l’année de leur application. Devant le Conseil Constitutionnel, la société ITM Alimentaire Internationale, la centrale d’achat d’Intermarché, est intervenue, celle-ci s’étant également vue infliger plusieurs amendes d’un montant totale de 19 200 000 euros pour 61 manquements à son obligation de signature des conventions conclues avec ses fournisseurs français au plus tard au 1er mars de l’année de leur application.
Dans le cadre de cette procédure, ces enseignes reprochaient aux dispositions de l’articles L.470-2, VII du code de commerce, telles que modifiées par la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, de méconnaître le principe de nécessité des peines (L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit en effet que la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et que nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée), dès lors qu’elles ne prévoient aucun plafond au cumul des sanctions administratives prononcées pour les manquements en concours (voir notre note d’actualité de janvier 2022). Elles soutenaient également que ces dispositions méconnaîtraient le principe de légalité des délits et des peines, faute de définir la notion de « manquements en concours ».
En face, le représentant du Gouvernement rappelait que l’obligation de formaliser, au plus tard le 1er mars, le résultat d’une négociation commerciale permet surtout « de figer la relation contractuelle afin d’éviter que l’une des parties ne puisse continuellement remettre en question la teneur des accords ». Il ajoutait qu’« il ne s’agit donc pas d’une simple obligation formelle mais de la garantie d’une relation commerciale équilibrée entre fournisseurs et distributeurs notamment sur le marché de la distribution alimentaire qui est structurellement déséquilibré en faveur des distributeurs ».
Le Conseil Constitutionnel n’a manifestement pas retenu l’argumentation développée par ces groupements de distribution.
Et pour cause, le Conseil Constitutionnel rappelle, en premier lieu, qu’« aucune exigence constitutionnelle n’impose que des sanctions administratives prononcées pour des manquements distincts soient soumises à une règle de non-cumul » (point 8).
Ajoutant que les sanctions administratives doivent avant tout rester efficaces et dissuasives !
Le Conseil Constitutionnel observe, en second lieu, « d’une part, que les dispositions contestées n’ont pas pour objet de déterminer le montant des sanctions encourues pour chacun des manquements réprimés » – elles fixent uniquement le plafond de la sanction encourue pour chaque manquement – et, « d’autre part, elles ne font pas obstacle à la prise en compte par l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de la nature des manquements, de leur gravité et de leur répétition pour déterminer le montant des sanctions, en particulier lorsqu’elles s’appliquent de manière cumulative » (point 9). Ces dispositions n’établissent pas une peine fixe et automatique.
Ce faisant, le Conseil Constitutionnel conclut que le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit être écarté (point 10).
En outre, et dès lors que les dispositions contestées ne méconnaissent ni les principes de légalité et de nécessité des délits et des peines, ni aucun autre droit ou liberté fondamental que la constitution garantit, elles doivent être déclarées conformes à la Constitution (point 11).
Cette décision du Conseil Constitutionnel s’inscrit, une fois encore, dans la volonté affirmée des autorités administratives de renforcer le mécanisme de sanction des pratiques restrictives de concurrence afin de rétablir un équilibre dans la relation commerciale entre un fournisseur et son client notamment distributeur (cf. décision du Conseil constitutionnel n°2018-749 30 novembre 2018 – QPC Carrefour).
On observera naturellement que ce qui est dit dans cette décision du Conseil constitutionnel s’applique de manière transversale à toute sanction administrative et ce, non seulement si elle est prévue par le Code de commerce mais également à titre d’exemple par le Code de la consommation !