Ce rapport annuel met en lumière les diverses actions entreprises par l’Autorité au cours de l’année passée et nous éclaire davantage sur les priorités de l’institution pour l’année à venir.
Dans son éditorial, la Présidente a longuement insisté sur l’action menée par l’Autorité dans le secteur du numérique et de l’audiovisuel, qui demeure en tout état de cause une préoccupation majeure de l’institution (1). L’année 2019 a été marquée non seulement par une forte activité en matière de contrôle des concentrations (2), mais également par le montant substantiel des sanctions infligées par l’Autorité dans le cadre de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles (3). Il est par ailleurs important de relever que l’Autorité reste très attentive à la situation concurrentielle en Outre-mer (4) ainsi qu’au sein des ordres professionnels (5).
1. Le secteur du numérique et de l’audiovisuel au cœur des préoccupations de l’Autorité
L’Autorité confirme que le secteur du numérique et de l’audiovisuel est une priorité, ce dont témoignent d’ailleurs les nombreux avis et décisions rendus à ce propos en 2019.
S’agissant du secteur de l’audiovisuel, l’Autorité est consciente qu’il s’agit d’un domaine qui a été profondément bouleversé par la révolution numérique et plus particulièrement par l’avènement des plateformes OTT (plus connues sous le nom de plateformes de « streaming ») telles que Netflix, Amazon Prime Vidéo ou plus récemment, Disney+. C’est dans ce contexte que l’institution a formulé des recommandations en vue d’une réforme prochaine du secteur et a notamment préconisé un assouplissement des contraintes pesant sur les acteurs historiques du paysage audiovisuel afin qu’ils puissent rivaliser à armes égales avec les plateformes de « streaming » par abonnement[1]. Le projet de loi audiovisuel devrait d’ailleurs être discuté au Parlement en fin d’année 2020 / début d’année 2021.
A noter également la décision très importante rendue par l’Autorité en août 2019 par laquelle elle a autorisé, sous conditions, la création de la plateforme Salto, qui regroupe les sociétés TF1, France Télévisions et M6 et qui aura une activité de distribution de services de télévision et proposera une offre de vidéo à la demande par abonnement[2].
S’agissant du secteur du numérique, l’Autorité est toujours très attentive à ses évolutions et cherche à prévenir les possibles infractions à la concurrence qui pourraient surgir. A ce titre, elle a décidé de créer un service de l’économie numérique qui lui permettra d’approfondir la compréhension des phénomènes nouveaux de même que la connaissance du fonctionnement des plateformes.
L’Autorité s’érige également en « gendarme vigilant de l’action des grandes plateformes », comme en témoignent la sanction prononcée à l’encontre de Google pour abus de position dominante (voir ci-dessous), ainsi que l’amende record infligée à Apple en mars 2020 d’un montant de 1,1 milliard d’euros[3]. Dans cette dernière affaire, l’Autorité a sanctionné les pratiques menées par l’un des géants du GAFA qui visaient à réduire la concurrence dans la distribution de produits Apple et à tirer profit de sa domination vis-à-vis de ses distributeurs premium. Cette affaire a d’ailleurs été évoquée dans la note d’actualité du 23 mars 2020.
2. Une forte activité en matière de contrôle des concentrations
En 2019, l’activité a été très soutenue en matière de contrôle des concentrations, l’Autorité ayant analysé 270 dossiers, un record. L’une des décisions les plus marquantes de l’année est sans aucun doute la décision n°19-DCC-15 du 29 janvier 2019 par laquelle l’Autorité a donné son feu vert au rachat d’Alsa par le groupe Dr. Oetker, à condition que ce dernier concède une licence sur la marque Ancel à l’un de ses concurrents, Sainte Lucie et ce, afin de garantir aux consommateurs le maintien d’une concurrence suffisante et d’une offre diversifiée sur le marché.
Par ailleurs, l’Autorité souligne dans son rapport la nécessité de procéder à un renforcement du contrôle des concentrations. A cet égard, l’Autorité réfléchit à la possibilité de mettre en œuvre un nouveau contrôle qui interviendrait postérieurement à la réalisation de l’opération et qui concernerait les opérations dites « sous les seuils », soit celles qui passent au travers de tout contrôle en raison des règles de seuils et qui pourtant sont susceptibles de produire des effets structurants forts sur l’économie. C’est notamment le rachat de WhatsApp par Facebook pour 20 milliards d’euros qui a mis en lumière cette problématique, car cette opération a failli échapper à tout contrôle dans la mesure où elle concernait un acteur innovant qui n’avait pas encore monétisé son innovation. C’est pourquoi l’Autorité s’interroge actuellement sur la nécessité de créer un cadre de contrôle a posteriori qui ne tienne pas compte du chiffre d’affaires des entreprises concernées.
Enfin sur ce sujet, nous relèverons la publication par l’Autorité, le 23 juillet dernier, des nouvelles lignes directrices relatives au contrôle des concentrations qui apportent de nombreuses réponses à des questions fréquemment posées et qui donnent un cadre précis au contrôle des concentrations en France. Comme indiqué dans le communiqué de presse, ces lignes ont pour but « de fournir aux entreprises une présentation pédagogique sur le champ d’application des règles relatives au contrôle national des concentrations, sur le déroulement de la procédure devant l’Autorité et sur les objectifs, critères et méthodes pour les analyses au fond ».
3. Une appréhension de pratiques anticoncurrentielles de grande envergure
En ce qui concerne la lutte contre les ententes et les abus de position dominante, l’Autorité en infligé l’année passée 632 millions d’euros d’amende, soit trois fois plus qu’en 2018. Trois affaires ont été particulièrement marquantes en 2019 :
– La sanction de Google pour abus de position dominante dans le secteur de la publicité en ligne à hauteur de 150 millions d’euros : il était reproché au géant du numérique d’avoir adopté des règles de fonctionnement opaques et difficilement compréhensibles pour sa plateforme publicitaire Google Ads et de les avoir appliquées de manière inéquitable et aléatoire[4].
– La sanction des 4 émetteurs historiques de titres-restaurant pour entente à hauteur de 415 millions d’euros : ces opérateurs échangeaient entre eux des informations stratégiques et s’entendaient pour verrouiller le marché et empêcher l’entrée de nouveaux acteurs (cette sanction entre d’ailleurs dans le « top 5 » des plus importantes sanctions prononcées depuis 2009)[5].
– La sanction à hauteur de 58,3 millions d’euros d’un cartel entre les principaux fabricants de compotes : il a été reproché aux acteurs de ce marché de s’être entendus sur la fixation des prix de vente des compotes auprès des clients MDD (sous marque de distributeurs) et RHF (« restauration hors foyer ») et de s’être répartis les volumes et les clients[6].
Il est tout de même important de relever que sur les 632 millions d’euros d’amendes infligées, les trois affaires évoquées ci-dessus totalisent à elles seules 623 millions d’euros, ces affaires faisant l’objet de recours devant la Cour d’appel de Paris. Affaires à suivre donc !
4. Une vigilance accrue de l’Autorité sur la situation concurrentielle en Outre-mer
En 2019, l’Autorité a rendu un avis très important dans lequel elle s’est livrée à un diagnostic sur la situation concurrentielle ultramarine et a ainsi formulé une vingtaine de recommandations afin de dynamiser l’animation concurrentielle[7]. Ces recommandations ont notamment pour objectif :
– d’améliorer les études de prix et d’encourager l’action des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) ;
– d’évaluer les conditions d’application de l’octroi de mer ;
– de réformer le bouclier qualité prix (BQP) ;
– d’améliorer la régulation du fonctionnement des marchés ;
– d’encourager une organisation plus efficace des filières locales ;
– de favoriser le développement du commerce en ligne dans les DROM.
Il s’agit du second avis de l’Autorité de la concurrence sur ce sujet, après celui paru le 8 septembre 2009 (avis n°09-A-45) analysant les problèmes de concurrence en Outre-mer.
L’Autorité a également sanctionné au cours de l’année écoulée les accords d’importation exclusive tels que bioMérieux et Guyane Service Médical en mai 2019[8] ou encore Procter & Gamble, Coty et Chanel en octobre 2019[9]. S’agissant de cette dernière affaire, nous vous renvoyons à notre note d’actualité du 30 octobre 2019.
5. Le respect du droit de la concurrence au sein des ordres professionnels et des syndicats professionnels
L’Autorité se montre toujours très investie dans la lutte des pratiques anticoncurrentielles commises au sein des ordres professionnels.
Elle a ainsi sanctionné en juin 2019 les notaires de Franche-Comté qui avaient établi une « grille tarifaire » unique, faisant ainsi obstacle à la libéralisation des tarifs[10], ainsi que les huissiers des Hauts-de-Seine qui avaient instauré des conditions d’entrée discriminatoires à l’attention des huissiers qui souhaitaient intégrer la structure[11].
Il a également été prononcé une amende d’un montant de 1,5 million d’euros à l’encontre de l’Ordre des architectes pour avoir diffusé et rendu obligatoire un barème d’honoraires que les architectes devaient appliquer pour répondre à des marchés publics[12].
Rappelons en outre que nous attendons une prochaine étude thématique de l’Autorité sur les marges de manœuvre dont disposent les syndicats et organismes professionnels en droit de la concurrence.
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Le rapport annuel 2019 de l’Autorité de la concurrence témoigne donc d’une année d’actions diversifiées marquée par un intérêt croissant de l’Autorité pour le secteur de l’audiovisuel et du numérique. Pour 2020/2021, une échéance forte attend l’Autorité avec la réforme des règlements d’exemption applicables aux restrictions verticales (voir notre note d’actualité du 5 juin 2020) et aux accords horizontaux et la révision de la communication des marchés pertinents qui seront menées au niveau européen.
[1] Avis 19-A-04 du 21 février 2019
[2] Décision 19-DCC-157 du 12 août 2019
[3] Décision 20-D-04 du 16 mars 2020
[4] Décision 19-D-26 du 19 décembre 2019
[5] Décision 19-D-25 du 17 décembre 2019
[6] Décision 19-D-24 du 17 décembre 2019
[7] Avis 19-A-12 du 4 juillet 2019
[8] Décision 19-D-11 du 29 mai 2019
[9] Décision 19-D-20 du 8 octobre 2019
[10] Décision 19-D-12 du 24 juin 2019
[11] Décision 19-D-13 du 24 juin 2019
[12] Décision 19-D-19 du 30 septembre 2019