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Guerre en Ukraine et répercussions (immédiates) dans les contrats commerciaux !

Après la pandémie liée au Covid-19, la guerre déclarée par la Russie à l’encontre de l’Ukraine – au-delà du cataclysme qu’elle suscite sur la population – commence à avoir des répercussions très sérieuses dans la sphère commerciale.

Il y a en effet l’acte de guerre en tant que tel et ses conséquences sur l’économie ukrainienne (production agricole, industrie, etc.). Les sanctions internationales infligées par les Etats-Unis et l’Union européenne à l’encontre de la Russie (gel des avoirs russes, notamment) viennent par ailleurs accentuer une situation déjà très tendue.

Les importations et les exportations sont concernées au premier chef et ce, dans un contexte progressif de paralysie des transports (routiers, ferroviaires, maritimes et aériens). Il en est ainsi des routes et moyens de transport de manière très générale vers et en provenance de l’Ukraine et la Russie qui, faute d’être praticables, se ferment progressivement. Et que dire des lignes électriques, des gazoducs, etc.

La conjonction de ces éléments aboutit à une augmentation exponentielle des prix. Le pétrole en est un exemple patent. Le baril tourne à ce jour autour de 120 dollars, la Russie étant le deuxième exportateur de pétrole brut au monde. De même, il est constaté une flambée des prix des céréales en général et du blé en particulier. Le blé atteint aujourd’hui presque 400 € la tonne, ce qui n’a jamais été observé par le passé. L’Ukraine et La Russie sont deux grands producteurs de blé en Europe, les deux pays représentant d’ailleurs 30 % des exportations mondiales de blé.

En France, de très nombreuses entreprises, soit commercent avec des entreprises situées en Ukraine ou en Russie – que ces entreprises soient leurs clientes ou surtout leurs fournisseurs – sont déjà placées ou risquent de l’être prochainement dans une impossibilité absolue de produire ou, à tout le moins, de produire dans des conditions beaucoup plus onéreuses que par le passé. Pour ces entreprises françaises, la crainte est de ne pas pouvoir honorer leurs engagements contractuels à l’égard de leurs propres clients, faute par exemple de disposer d’un intrant essentiel dans la composition de leurs produits ou, alors, d’être en mesure d’honorer partiellement leurs engagements contractuels ou en enregistrant un retard très significatif, ce qui les placera également dans une situation de manquement contractuel.

Et de manière beaucoup plus générale, sans être en lien direct avec une entreprise située en Ukraine ou en Russie, toutes les entreprises européennes ressentent d’ores et déjà les effets dévastateurs sur le plan économique de la crise que nous vivons – notre ministre de l’Economie, Monsieur Bruno Le Maire ne comparait-il pas cette crise à celle du 1er choc pétrolier de 1973 ?

Dans un tel contexte, toute entreprise française peut d’ores et déjà se poser la question légitime de savoir si elle pourrait valablement invoquer la force majeure ? A défaut, pourrait-elle demander à tout le moins une renégociation des termes du contrat auprès de ses propres clients au nom de l’imprévision dès lors que l’état de guerre vient bouleverser l’économie du contrat et augmenter fortement ses coûts de production ?

La référence classique à la force majeure n’a d’ailleurs pas échappé à l’Ukraine qui, dès le 28 février 2022, a publié sur le site internet de sa Chambre de commerce et d’Industrie une lettre officielle destinée à tout intéressé et indiquant que relève de la force majeure « l’agression militaire de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, qui a conduit à l’imposition de la loi martiale à partir de 05:30 le 24 février 2022 pour 30 jours, conformément au décret du Président de l’Ukraine du 24 février 2022 № 64/2022 « Sur l’imposition de la loi martiale en Ukraine » et que « la CCI d’Ukraine confirme que ces circonstances du 24 février 2022 jusqu’à leur fin officielle, sont extraordinaires, inévitables et objectives pour les entités commerciales et / ou les personnes physiques en vertu du contrat (…) et dont l’exécution est devenue impossible dans le délai fixé en raison de la survenance d’un tel cas de force majeure »

A l’instar de ce que nous avions écrit pour la pandémie de Covid-19, quels sont les outils juridiques à la disposition des entreprises dans cette situation de crise ?

L’article 1218 du Code civil prévoit qu’il y a force majeure en matière contractuelle « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Il en ressort que l’événement en cause doit être extérieur au débiteur, irrésistible et imprévisible (conditions cumulatives appréciées très restrictivement par la jurisprudence).

Il doit surtout empêcher l’exécution de l’obligation du débiteur.

Dès lors qu’elle est caractérisée, la force majeure emporte deux effets : si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulte ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations. Quel que soit l’événement considéré, celui-ci ne peut revêtir la qualification de « force majeure » au sens de l’article 1218 du Code civil que s’il remplit les trois conditions précitées. Cela signifie, de façon générale, qu’aucun événement n’est par nature constitutif de force majeure. D’ailleurs, à titre d’exemple, si le Covid-19 a pu être reconnu comme étant un cas de force majeure à propos d’une société de nettoyage des avions (CA Paris, 26 mars 2021, n°20/13493), il n’en pas été de même pour un théâtre s’agissant du paiement de ses loyers (CA Paris, 20 janvier 2022, n°21/11811).

Au sens de l’article 1218 du Code civil, l’état de guerre en Ukraine et ses conséquences devraient selon toute vraisemblance s’imposer comme un cas de force majeure et ainsi permettre à une entreprise de se libérer de ses obligations sans engager sa responsabilité contractuelle. Il convient toutefois d’être prudent sur deux points. Tout d’abord, la notion de force majeure suppose le caractère imprévisible de l’événement. A ce jour, l’état de guerre est une réalité et n’est donc plus imprévisible. On peut donc supposer que l’état de guerre était véritablement imprévisible jusqu’au 24 février 2022, date à laquelle la Russie a mis en œuvre sa première opération militaire à l’encontre de l’Ukraine. En outre, à supposer que l’état de guerre était imprévisible au moment de la conclusion du contrat, encore faut-il que cet événement empêche véritablement le cocontractant d’exécuter ses obligations, c’est-à-dire de façon absolue, ce qui n’est pas toujours le cas.

En effet, dans l’hypothèse où une entreprise serait toujours à même d’honorer ses engagements mais beaucoup plus difficilement qu’avant (soit avec retard, soit dans des conditions financières qui lui seraient très défavorables) la force majeure ne devrait pas pouvoir être s’appliquer, sauf dispositions contractuelles contraires[1]. Il s’agirait alors d’un cas d’imprévision prévu à l’article 1195 du Code civil qui dispose que « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ». S’il est intéressant, le dispositif de l’article 1195 du Code civil connaît également ses limites dès lors qu’il ne permet pas à une partie, par exemple, de modifier unilatéralement son prix en raison de fluctuations significatives des matières premières ou d’obtenir rapidement une modification du prix en accord avec son cocontractant. Le mécanisme d’imprévision permet seulement d’ouvrir des négociations avec le partenaire contractuel, lequel peut refuser toute demande en ce sens ou accepter de négocier sans pour autant s’engager à la modification effective du contrat, même si la bonne foi contractuelle devrait l’inviter à la faire. Notons toutefois qu’à l’instar de l’article 1218 du Code civil sur la force majeure, l’article 1195 du Code civil n’est pas d’ordre public et peut être exclu par les parties au contrat voire aménagé par elles.

Compte tenu du conflit actuel et des incertitudes qu’il génère, toute entreprise doit rapidement se reporter au contrat qu’elle a conclu afin d’envisager si l’état de guerre en Ukraine pourrait lui permettre de s’exonérer de ses obligations. Seule une analyse au cas par cas de la situation contractuelle concernée et du secteur d’activité peut permettre de déterminer si la force majeure et/ou l’imprévision peuvent constituer des outils juridiques pertinents.


[1] Pour autant, il est important de rappeler que l’article 1218 du Code civil est supplétif de volonté de sorte que les parties peuvent exclure son application ou, au contraire, l’aménager. Dans le cadre d’un éventuel aménagement entre deux professionnels, les parties peuvent étendre la définition de force majeure ou énumérer des événements qui seront automatiquement considérés comme relevant de la force majeure, permettant ainsi au débiteur de l’obligation d’invoquer l’événement sans avoir à rapporter la preuve des trois conditions posées par l’article 1218 du Code civil. Les parties pourraient donc avoir prévu que tout acte de guerre relève ipso facto de la force majeure. Il convient naturellement de se reporter au contrat conclu.

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