L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats et du régime général de la preuve des obligations a été publiée au Journal Officiel le 11 février 2016.
Les dispositions de cette ordonnance rentreront normalement en vigueur le 1er octobre 2016.
Il est à noter que si le droit des contrats est sensiblement remodelé, la réforme de la responsabilité civile contractuelle et précontractuelle fera l’objet d’un projet de loi ultérieur qui sera débattu devant le Parlement.
L’objet du présent « Flash Concurrence » est de présenter de manière synthétique, tel un pense-bête, les principales modifications – sans chercher à être exhaustifs – apportées à notre droit civil des contrats qui se retrouve désormais aux articles 1101 à 1231-7 du sous-titre I dénommé « LE CONTRAT » du Titre III du Livre III du Code civil.
Ce « Flash Concurrence » sera suivi de nombreux autres qui seront respectivement consacrés au déséquilibre significatif, à la détermination du prix, aux clauses de « hardship », à l’information précontractuelle, à la cessation de la relation contractuelle, etc.
I. LA SUPPRESSION DE CERTAINES NOTIONS
- On notera, tout d’abord, la suppression du terme « convention » qui laisse place définitivement au terme « contrat » lequel résulte d’un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations (article 1101).
- On remarquera également la disparition du concept de cause. Si cela risque de faire discourir les théoriciens du droit, il est loin cependant d’être certain que cela change l’approche des praticiens…
- La notion « d’objet » disparaît également pour être remplacée par celle de « contenu » (article 1128 et articles 1162 et suivants).
Il est prévu désormais que le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties (article 1162).
Nous noterons que cette référence au but renvoie finalement à la notion de cause mais de façon plus lisible et pragmatique.
II. LA MODERNISATION DU DROIT DES CONTRATS PAR LA CONSECRATION DES NOTIONS JURISPRUDENTIELLES
Le toilettage du Code civil commence par l’insertion de dispositions reprenant des solutions jurisprudentielles, pour certaines très anciennes.
En voici les principales :
- Insertion de sections sur les négociations et entrée de l’obligation d’information précontractuelle (articles 1112, 1112-1 et 1112-2).
Le nouvel article 1112 pose en principe l’existence d’un devoir de bonne foi lors des négociations, qui sera au demeurant le fil directeur constant de notre nouveau droit des contrats et a vocation à contrebalancer le principe de liberté contractuelle.
Le devoir d’information précontractuelle fait son apparition à l’article 1112-1, lequel a vocation à sanctionner la rétention d’une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre contractant.
- Concernant la formation du contrat, ajout des conditions de la rencontre d’une offre et d’une acceptation (article 1113 et suivants).
L’article 1120 précise désormais que le silence ne vaut pas acceptation à moins qu’il n’en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d’affaires ou de circonstances particulières, ce qui laisse encore la place à de nombreuses possibilités d’interprétation.
- Insertion de la notion de mandat apparent (article 1156).
- Développement des sanctions des conditions de validité du contrat.
La distinction de la nullité absolue et de la nullité relative est désormais consacrée et fait l’objet de développements aux articles 1178 et suivants.
Apparaît également la notion de caducité, l’article 1186 prévoyant désormais qu’un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît.
- S’agissant de l’effet des contrats, l’opposabilité du contrat au tiers fait son apparition (article 1200).
Cette nouvelle disposition consacre une jurisprudence importante. Elle prévoit désormais que les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat et peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait.
- Font également leur apparition dans le Code civil des dispositions sur la durée des contrats (articles 1210 et suivants).
Il est désormais expressément prévu que les engagements perpétuels sont prohibés.
Des nouvelles dispositions du Code civil développent en outre désormais le régime des contrats à durée déterminée et à durée indéterminée ainsi que le mécanisme de la tacite reconduction.
- La notion de force majeure fait également son entrée dans le nouveau Code civil (article 218).
La force majeure y est désormais définie et repose sur les critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité.
- Consécration de l’exception d’inexécution (articles 1219 et 1220).
Ces nouvelles dispositions définissent l’exception d’inexécution comme la possibilité offerte à une partie de ne pas exécuter son obligation si l’autre partie n’exécute pas la sienne mais à la condition que l’inexécution soit suffisamment grave.
- Introduction de la résolution unilatérale du contrat (article 1226)
L’article 1226 introduit dans le Code civil la résolution unilatérale par notification du créancier de l’obligation non exécutée. Cette disposition prévoit toutefois que cette résolution se fait aux risques et périls du créancier qui, sauf urgence, doit mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
- La résiliation devient un cas déterminé de résolution (article 1229). Peut-être éviterons-nous ainsi à l’avenir l’éternelle confusion entre la résolution et la résiliation.
Il y a résolution lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat et les parties doivent alors restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre.
Lorsqu’en revanche, il n’y pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation, la résolution sera qualifiée de résiliation.
III. LES AJOUTS TIRES DU DROIT ECONOMIQUE (DROIT DE LA CONSOMMATION – DROIT DES PRATIQUES RESTRICTIVES DE CONCURRENCE)
Les praticiens du droit économique ne peuvent que relever l’ajout dans le Code civil de notions directement issues du droit de la consommation ou du droit des pratiques restrictives de concurrence.
Ces ajouts sont tous liés au principe de protection de la partie la plus faible sur lequel repose le droit de la consommation mais également le droit des pratiques restrictives fondé sur la volonté du législateur de restaurer un équilibre contractuel dans les relations commerciales, notamment entre les fournisseurs et la grande distribution.
Voici ces notions que nous connaissons bien et que nous retrouvons désormais dans le Code civil :
- La notion de contrat d’adhésion (article 1110)
Le contrat d’adhésion est désormais défini dans le Code civil comme étant celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties.
- La notion de contrat-cadre (article 1111)
Le contrat-cadre fait également son apparition dans le Code civil. L’article 1111 précise que le contrat-cadre est un accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leur relation contractuelle future et que des contrats d’application en précisent les modalités d’exécution.
On retrouve cette notion plus loin dans le Code civil, à l’article 1164 qui dispose désormais que dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elles d’en motiver le montant en cas de contestation.
En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts, et le cas échéant, la résolution du contrat.
- La notion de contrepartie (articles 1107, 1166 et 1169)
Les praticiens du droit des pratiques restrictives de concurrence connaissent bien cette notion de contrepartie.
Elle fait son apparition dans le Code civil et plus particulièrement à l’article 1107 qui prévoit que le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure.
L’article 1166 précise quant à lui que « lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie ».
L’article 1169 prévoit enfin qu’un contrat à titre onéreux sera nul lorsqu’au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire.
- Devoir d’information précontractuelle (article 1112-1)
Déjà évoqué plus haut, nous le reciterons ici car c’est une notion que nous connaissons bien en droit de la consommation mais également en droit de la distribution par l’application de l’article L.330-3 du Code de commerce (communément appelé « loi Doubin ») qui prévoit une obligation d’information précontractuelle pour certains types de réseaux de distribution.
- La notion de conditions générales (article 1119)
Fondamentales en droit de la négociation commerciale ainsi qu’en droit de la consommation, les conditions générales font leur apparition dans le Code civil qui généralise ainsi des solutions déjà connues dans ces domaines.
Ainsi, l’article 1119 prévoit que les conditions générales invoquées par une partie n’ont d’effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et que si elle les a acceptées.
En cas de discordance entre les conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet, ce qui n’est pas sans rappeler la question de la confrontation entre les conditions générales de vente et les conditions générales d’achat.
L’article 1119 prévoit enfin qu’en cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières.
- La notion d’état de dépendance (article 1143)
Le Code civil prévoit désormais que l’abus d’un état de dépendance peut constituer un acte de violence viciant le consentement.
Cet ajout constitue une nouveauté essentielle.
Fait ainsi son apparition dans le Code civil la notion de violence économique et même au-delà puisque le texte vise toutes les hypothèses de situation de dépendance.
Cet article a bien évidemment vocation à générer des craintes et de l’insécurité tant la notion de dépendance économique est difficile à appréhender et qu’appliquée de façon souple, elle pourrait entraîner un développement considérable du contentieux visant à obtenir l’annulation de contrats commerciaux.
Le texte limite tout de même ce risque en exigeant, pour qu’il y ait violence, que son auteur en tire un avantage manifestement excessif.
Là encore, nous retrouvons une notion bien connue des pratiques restrictives de concurrence.
Il restera au juge à définir ce qu’est un état de dépendance, ce qu’est un abus de cet état de dépendance et ce que sera ensuite l’avantage manifestement excessif que son auteur pourra en retirer.
- La notion de déséquilibre significatif (article 1171)
Connu du droit de la consommation depuis longtemps et ayant fait son entrée dans le Code de commerce par la loi « LME » du 4 août 2008, voici donc le déséquilibre significatif généralisé à l’ensemble du droit des contrats ou plus précisément aux contrats d’adhésion.
Le nouvel article 1171 du Code civil prévoit ainsi que dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
Rappelons qu’un contrat d’adhésion est celui qui n’a pas été négocié ainsi que le définit le nouvel article 1110 du Code civil.
Cette limite est assez logique, la jurisprudence actuelle sur l’article L.442-6-I-2° du Code de commerce prévoyant la sanction du déséquilibre significatif en retenant entre autres critères la possibilité ou non de négocier le contrat.
Conformément aux principes déjà dégagés en ce domaine, il est prévu que l’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.
Cette notion de déséquilibre significatif qui vise ainsi à sanctionner les clauses abusives dans les contrats, va de ce fait imprégner l’intégralité de notre droit des contrats et le risque qui en découle devra absolument être pris en compte lors de la rédaction et de la discussion des contrats, notamment en droit de la distribution dans lequel les contrats d’adhésion sont fréquents.
IV. LA GRANDE NOUVEAUTE : L’ENTREE DE LA NOTION D’IMPREVISION DANS LE CODE CIVIL
Il s’agit là d’une des innovations les plus importantes de l’ordonnance du 10 février 2016.
L’imprévision est désormais introduite dans le droit des contrats français, sachant que la France était l’un des derniers pays d’Europe à ne pas reconnaître la théorie de l’imprévision.
L’article 1195 du Code civil prévoit désormais que si un changement de circonstance imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat, mais elle doit continuer à respecter ses obligations durant la renégociation.
En cas d’échec, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation.
A défaut d’accord, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe.
Il convient d’ores et déjà de noter que les parties pourront dans leur contrat déroger à ce texte en prévoyant une clause d’acceptation du risque d’imprévision.
Il sera donc très important lors de la rédaction de contrat, de réfléchir à l’opportunité de l’insertion ou non d’une telle clause dérogatoire à ces nouvelles dispositions.
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On notera également l’entrée dans le Code civil des conditions de cession de contrats désormais codifiées aux articles 1216 et suivants.
V. MODERNISATION DU CODE CIVIL AVEC INSERTION D’UNE SECTION SUR LES DISPOSITIONS PROPRES AU CONTRAT CONCLU PAR VOIE ELECTRONIQUE (ARTICLES 1125 ET SUIVANTS)
Cette nouvelle section est bien venue car elle permet de regrouper des textes qui étaient avant épars.
Le droit de la preuve des obligations modifié également par l’ordonnance du 10 février 2016 a lui aussi été modernisé pour tenir compte de l’écrit électronique.