A l’occasion d’une demande en réparation de son préjudice résultant d’une rupture brutale de ses relations commerciales avec son client (le groupe Auchan), un fournisseur en bijoux fantaisie sollicite le remboursement de sommes qu’il estime avoir indûment versées au titre de la facturation de fausse coopération commerciale.
La Cour d’appel déboute le fournisseur de sa demande fondée sur les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce mais accède à ses prétentions formulées sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce.
S’il fallait encore le rappeler, cet article prévoit qu’ : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan : D’obtenir ou de tenter d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. […] ».
Avant de procéder à l’analyse des services facturés par Auchan à son fournisseur entre 2002 et 2009, la Cour d’appel rappelle ce qu’il faut entendre par « fausse coopération commerciale » au regard des dispositions de l’article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce :
« Cet article prohibe en premier lieu les services indûment facturés de façon distincte comme services de coopération commerciale, alors qu’ils ne constituent pas des services de coopération commerciale et auraient dû être facturés, sous forme de remise ou ristournes, sur les factures des biens échangés. Il interdit également les services de coopération commerciale ne correspondant à aucun service rendu ou dont la rémunération est manifestement disproportionnée par rapport au service effectivement délivré.
[…]
Les services de coopération commerciale constituent « des actions de nature à stimuler ou à faciliter au bénéfice du fournisseur la revente de ses produits par le distributeur, telles la mise en avant des produits ou la publicité sur les lieux de vente, l’attribution de têtes de gondoles ou d’emplacements privilégiés, ainsi que la promotion publicitaire », ainsi que les a définis la circulaire Dutreil du 16 mai 2003, et la jurisprudence. Le service doit être détachable de l’achat-vente, c’est-à-dire distinct de la fonction naturelle du distributeur. Autrement dit, les prestations qui font partie inhérente de la fonction même de distributeur ne peuvent faire l’objet de facturation distincte au titre de prestations de coopération commerciale.
Il y a donc fausse coopération commerciale notamment lorsque les services rendus par le distributeur à son fournisseur sont, soit inexistants, soit des pratiques normales et habituelles d’un revendeur qui n’ont rien de spécifiques et ne sont pas détachables de l’achat-vente ».
La Cour d’appel précise également que les services délivrés par un distributeur doivent être formalisés conformément aux prescriptions de l’article L. 441-7 du Code de commerce :
« L’article L.441-6 alinéa 5 du code de commerce dans sa version applicable jusqu’au 2 août 2005 et l’article L.441-7 dans sa version du 2 août 2005 ainsi que dans ses différentes versions postérieures, exigent que les accords de coopération commerciale soient consignés par écrit, la loi du 2 août 2005 précisant le contenu du contrat, qui doit indiquer son objet, sa durée, la date à laquelle les services sont rendus, leurs modalités d’exécution, leur rémunération, et les produits auxquels ils se rapportent. L’exigence d’un écrit permet de vérifier que les services visés rentrent bien dans la catégorie des services de coopération commerciale, mais également la réalité de ces services, ainsi que leur rémunération proportionnée et donc qu’ils respectent l’article L. 442-6, I, 1 du code de commerce.
[…]
La circulaire [Dutreil du 16 mai 2003] rappelle également que, conformément aux exigences de la loi, « le contrat de coopération commerciale doit permettre d’identifier avec précision la nature exacte des services rendus, ainsi que les dates de réalisation de ces services, afin que la correspondance entre ce contrat et la facture du distributeur puisse être établie». Des services présentés comme services de coopération commerciale insuffisamment définis sont également irréguliers. »
Ceci ayant été rappelé, la Cour d’appel s’est évertuée à débusquer la fausse coopération commerciale facturée par Auchan à son fournisseur en redonnant aux services en cause leur véritable qualification (I.), en stigmatisant les services qui ne répondent pas aux exigences de formalisme de l’article L. 441-7, I, 2° du Code de commerce (II.), en relevant la double rémunération pour un même service (III.) et, enfin, en identifiant les services qui ne sont pas prévus pour les produits du fournisseur (IV.).
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I. Services non-détachables de l’opération d’achat-vente :
- Paiement centralisé :
➢ Définition donnée par Eurauchan :
« Le regroupement de tous les paiements qui pourraient être adressés séparément par chaque point de vente exploité par les sociétés adhérentes d’Eurauchan et leurs filiales et l’envoi au fournisseur dans des délais rapides et réguliers d’un titre de paiement unique pour chaque centre payeur ».
➢ Qualification opérée par la Cour d’appel :
« Il s’agit des modalités de paiement des sociétés adhérentes d’Eurauchan au fournisseur référencé. Ce service de paiement constitue des modalités particulières d’achat qui ne sont pas détachables de l’opération d’achat/vente et n’ont nullement pour objet de stimuler la revente des produits [du fournisseur] aux consommateurs. Il ne saurait donc constituer un service de coopération commerciale. »
- Envoi centralisé des commandes :
➢ Définition donnée par Eurauchan :
« L’envoi centralisé des commandes des magasins sur les produits permanents du fournisseur deux fois par an (février 2002 et juillet 2002) » ; « la préconisation de quantités à l’article pour chaque niveau de magasins » ; « l’envoi centralisé des commandes des magasins sur des produits saisonniers ».
➢ Qualification opérée par la Cour d’appel :
« L’envoi centralisé des commandes relève de la fonction même de la centrale d’achat, celui-ci ayant pour objet de négocier des tarifs intéressants pour tous ses adhérents par le regroupement des commandes. Dès lors, ce service n’est pas davantage détachable de l’opération d’achat-vente. L’optimisation et la centralisation des commandes, l’unicité des négociations et la centralisation de paiement auraient dû être mentionnées sur les barèmes de réduction des fournisseurs et faire l’objet d’une remise sur facture. »
- Cooptation et diffusion des assortiments :
➢ Définition donnée par Eurauchan :
« Faire coopter l’assortiment national défini ensemble dans le cadre de la révision de gamme par l’ensemble des hypers du Groupe ».
➢ Qualification opérée par la Cour d’appel :
« Il semble qu’il s’agisse d’un référencement des produits des fournisseurs sur l’ensemble des hypermarchés du groupe, caractérisé par une codification unitaire, la diffusion des prix et conditions de vente du fournisseur sans que celui-ci ait à se mobiliser dans chacun de ces hypermarchés.
Ce service n’est pas davantage détachable de l’activité achat/vente. La fonction essentielle de la centrale d’achat est en effet de référencer, pour l’ensemble de ses adhérents, des produits et d’en négocier le prix. Il s’agit d’un service rendu aux adhérents, probablement facturé à ceux-ci, même si la cour ne dispose pas des contrats régissant les rapports de la centrale d’achat avec ses adhérents. »
- Convention de service de contrôle qualité :
➢ Définition donnée par Eurauchan :
« Contrôle qualité par un expert extérieur sur une sélection de produits du fournisseur avec la communication des comptes-rendus d’examen des produits non satisfaisants. Ce contrôle porte essentiellement sur les poids or et pierres, la qualité du métal et des pierres ou perles, ainsi que sur la finition des objets ; le contrôle qualité réalisé par les responsables réceptions des bijouteries en magasins sur l’ensemble des produits livrés par le fournisseur avec la communication des comptes-rendus d’examen des produits non satisfaisants. Ce contrôle porte essentiellement sur la présence des poinçons légaux, le poids des objets, la qualité générale et la conformité avec la pièce étalons (book photos). »
➢ Qualification opérée par la Cour d’appel :
« La description de ce service révèle, là encore, qu’il ne s’agit pas d’un service détachable de l’opération d’achat/vente, destiné à favoriser la revente des produits du fournisseur. Il est question d’un simple contrôle de conformité, par Eurauchan, des produits livrés par [le fournisseur] à Auchan, avant leur mise en rayon. Ce service n’est pas de nature à stimuler ou faciliter les ventes du fournisseur, celui-ci étant toujours tenu d’une obligation de garantie des vices cachés et d’une obligation de délivrance de ses propres produits (livrer des produits conformes à l’échantillon remis à Auchan), et, enfin de livrer les produits offrant la sécurité à laquelle le consommateur peut s’attendre (en vertu des articles 1386-1 et suivants du code civil en vigueur au moment des faits). »
- Diffusion des plans merchandising :
« Le « service diffusion des plans merchandising », qui permet à Auchan d’exiger [du fournisseur] le paiement de 5000 euros en contrepartie de la communication aux magasins Auchan des plans de masse et/ou détail des magasins, éléments qui relèvent exclusivement de son organisation interne et qui n’ont, compte tenu de la nature des produits distribués, aucun intérêt pour [le fournisseur]. Ces plans sont d’ailleurs destinés aux magasins, le fournisseur n’y ayant accès que sur sa demande. Ce service ne constitue donc pas un service de coopération commercial destiné à promouvoir les produits [du fournisseur] auprès des consommateurs. »
- Négociation centrale groupe :
« Ce service « négociation centralisée » permet à Auchan d’exiger le paiement d’une somme correspondant à 1,5 % du chiffre d’affaires [du fournisseur], sans en réalité fournir de nouvelle prestation, le principe même de la centrale de référencement et donc, de l’organisation du groupe Auchan, étant précisément de centraliser la négociation des adhérents du groupe Auchan avec le fournisseur. Comme les autres services inclus dans les conditions particulières de vente, il ne constitue pas un service détachable de l’opération d’achat-vente de nature à favoriser la revente des produits du fournisseur. Il est dès lors parfaitement infondé pour Auchan de se faire rémunérer ce service sous la qualification de service commercial, et ce, d’autant plus que le fournisseur est contraint de payer, s’il veut être référencé. »
II. Services fictifs ne répondant pas aux exigences de l’article L. 441-7, I, 2° du Code de commerce (ex-article L. 441-6 alinéa 5 du Code de commerce) :
- Système de bon de réduction (intitulé par la suite « Convention d’utilisation du Processus Cagnotte et Bons de réduction ») :
« La description du pseudo-service objet de cette convention n’est pas suffisamment précise. A aucun moment les dates d’exécution des opérations de « bon de réduction » ne sont précisées. Par ailleurs, la convention ne définit pas les produits censés déclencher l’émission du bon de réduction ou ceux sur lesquels s’appliquera la remise au consommateur. Il est ainsi impossible de savoir si cette convention concerne des produits [du fournisseur]. Le fait que les opérations envisagées ne soient nullement décrites et que l’article 3, prévoyant l’avance par Auchan des réductions de prix accordées au consommateur, n’ait pas été complété confirme bien que cette nouvelle convention de service n’a pas été exécutée et a été insérée dans l’accord commercial uniquement pour justifier en apparence le paiement de 0,50 % du chiffre d’affaires supplémentaires. »
- Services publi-promotionnels :
« Pour la première fois en 2007, les accords commerciaux contiennent une convention de « services publi-promotionnels ». Il s’agit d’un accord-cadre, dont l’objet rentre bien dans la catégorie des accords de coopération commerciale. Mais l’article 5 intitulé « description des services » est rédigé en termes vagues et ne détaille ni la date à laquelle les services sont rendus, ni leur durée, ni les produits auxquels ils se rapportent, se contentant de renvoyer la définition de ces éléments à des contrats d’application non versés aux débats et dont on peut penser qu’ils n’ont jamais été conclus, la société intimée ne les produisant pas dans ses pièces. Par ailleurs, le prix n’est pas mentionné. »
III. Services identiques rémunérés en double :
Année 2006 :
« La centralisation des commandes est prévue au titre de l’article 1.C. « service de commande centralisée » moyennant le prix de 5 % du montant des achats centralisés et au titre de l’article 1.B. « Service d’édition et de diffusion du book des offres promotionnelles nationales » qui prévoit, entre autres prestations, « la centralisation des commandes pour le comptes du fournisseur » et en contrepartie duquel Auchan exige un prix de 1,5 % du chiffre d’affaires. » ;
« L’édition d’un catalogue présentant les produits du fournisseur est mentionnée à l’article 1.B comme « service d’édition et de diffusion du book des offres promotionnelles nationales » aux termes duquel Auchan s’engage notamment à éditer un catalogue reprenant un descriptif des produits objets des offres promotionnelles en contrepartie de 1,5 % du chiffre d’affaires et, d’autre part, à l’article 1.D. « Service de diffusion des assortiments » qui prévoit la préparation d’un catalogue permettant « aux chefs de rayon de connaître l’ensemble de la gamme référencée » moyennant le versement de 4 % du chiffre d’affaires. »
Année 2007 :
« Auchan s’est fait rémunérer deux fois les mêmes services, les « services de commande centralisée » étant prévus deux fois dans les conditions particulières de référencement (pages 2 et 3), rémunérés à hauteur de 5 % des achats centralisés sur la base du cours de l’or pour la première, de 1 % de leur chiffre d’affaires ristournable pour la seconde. »
Année 2008 :
« Un nouveau « service de collection » est ajouté qui fait double emploi avec le service de diffusion des assortiments. L’annexe « service de centrale Eurauchan 2008 » prévoit en effet la rémunération d’un « service de diffusion des assortiments » qui « comprend l’engagement de diffuser l’assortiment national à l’ensemble des hypermarchés et supermarchés, c’est-à-dire : – La préparation d’informations qui permettent aux chefs de rayon de connaître l’ensemble de la gamme référencée chez le Fournisseur ; – La structure des assortiments par type de magasin et/ou de linéaire. (‘) », moyennant le paiement d’un taux de 4 % du CA Ristournable. Le « service de collection », pour sa part, « comprend tout ou partie des prestations suivantes : (‘) – La présentation des produits du fournisseur à l’ensemble des chefs de rayon lors de collections réalisées par Eurauchan (‘) ; – La préconisation d’implantation de son ou de ses produits. (‘) », moyennant le versement d’un taux de 5 % du CA ristournable sur le montant des achats centralisés base cours de l’or 12 900 euros.
La société Auchan se fait ainsi rémunérer deux fois la présentation des produits du fournisseur aux membres du réseau Eurauchan. La seule différence entre ces deux services est que l’un porte sur de prétendus produits faisant l’objet de collections, tandis que l’autre porte sur l’ensemble des produits du fournisseur (ce qui inclut forcément les produits faisant l’objet de collections). »
IV. Services qui ne sont pas prévus pour les produits du fournisseur :
« Le « service de suivi qualité », qui correspond à l’ancien service de « contrôle qualité », et dont la définition a été modifiée par rapport aux versions antérieures de la convention de service, prévoit, au nombre des prestations auxquelles s’engage le distributeur, le « retrait des produits de la vente avant l’expiration de la date limite de vente » ou l’établissement d’une « notice d’utilisation que le Fournisseur n’aura ainsi pas à réaliser ». Ces services ne sont manifestement pas prévus pour les bijoux, mais pour des produits périssables, ce qui confirme encore la fictivité de ces services. »
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Au titre de la facturation de l’ensemble de ces services jugés contraires aux dispositions de l’article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce, la Cour d’appel a condamné les sociétés du groupe Auchan à rembourser à leur fournisseur la somme totale de 320.198, 29 euros.