Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, les Etats Généraux de l’Alimentation (EGA) ont l’ambition de définir un nouveau modèle de production et de distribution des produits alimentaires afin de permettre de mieux valoriser ces produits, de répartir plus équitablement la valeur ajoutée ainsi créée et d’offrir aux consommateurs une alimentation plus saine, plus sûre et plus durable.
Flash Concurrence n°4 – août 2017
Par Jean-Christophe Grall et Caroline Bellone-Closset – Avocats à la Cour
Grall & Associés – Droit de la Concurrence
A l’heure où les crises agricoles se succèdent, où les producteurs agricoles ne parviennent plus à vivre de leur travail, où les scandales sanitaires se multiplient, où de nouveaux acteurs tels qu’Amazon ou Ali Baba s’apprêtent à révolutionner le marché de la grande distribution alimentaire, sans parler de l’accord intervenu il y a quelques jours entre les deux géants américains Google et Walmart, l’ensemble des acteurs de la filière agroalimentaire semble avoir pris conscience de ce que le modèle que nous connaissons actuellement – et qui conduit à une course aux prix toujours plus bas – arrive aujourd’hui à bout de souffle. Une première dans une économie libérale !
Ce contexte semble donc particulièrement favorable à la définition d’un nouveau modèle, mais lequel ? C’est la question à laquelle doivent permettre de répondre ces Etats généraux de l’alimentation d’ici la fin de l’année.
Un programme ambitieux
Les EGA ont été officiellement lancés le 20 juillet dernier par le Premier ministre, le ministre de l’Agriculture – qui pilotera ces Etats généraux – et le ministre de la Transition écologique, en présence de 500 personnes d’horizons très divers représentant l’ensemble des acteurs de la filière agroalimentaire « de la fourche à la fourchette, du consommateur au producteur ».
Ces EGA ont véritablement débuté le 29 août avec l’ouverture d’un premier chantier consacré à la création et à la répartition de la valeur dont les premières conclusions devraient être présentées par Emmanuel Macron en personne fin septembre-début octobre, soit juste avant le lancement des négociations commerciales 2018.
Ce premier chantier va s’organiser autour de sept ateliers thématiques, dont trois seront consacrés à la répartition de la valeur, autour des problématiques suivantes :
- rendre les prix d’achat des produits agricoles plus rémunérateurs pour les agriculteurs (atelier 5 présidé par François Eyraud, Directeur général de « Produits frais Danone » et Serge Papin, Président directeur général de Système U) ;
- adapter la production agricole aux besoins des différents marchés et aux besoins des transformateurs (atelier 6 présidé par Yves Delaine, Directeur général délégué du groupe Avril) ;
- améliorer les relations commerciales et contractuelles entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs (atelier 7 présidé par Guy Canivet, ancien premier président de la Cour de cassation, ancien membre du Conseil constitutionnel).
Outre ces différents ateliers, une vaste consultation publique a été lancée afin d’inviter les citoyens à réfléchir notamment sur les moyens de favoriser une chaîne de production agroalimentaire plus durable et plus équitable.
Ces EGA ont ainsi vocation à être « un temps de réflexion partagée et de construction de solutions nouvelles », le but étant « d’impulser une dynamique entre tous les acteurs » afin de « redonner de la force au triptyque distributeurs-transformateurs-producteurs ».
Le Premier ministre a ainsi déclaré : « Nous ne sommes pas sur des solutions court terme mais des solutions pérennes dans le cadre de relations équilibrées » et le Secrétaire d’Etat à l’Economie d’ajouter : « C’est notre modèle tout entier qu’il faut repenser en lui donnant un nouveau souffle. Nous devons conduire un changement de paradigme pour en inventer un nouveau ».
Un programme ambitieux donc, mais pour quels résultats attendus ?
Le Secrétaire d’Etat à l’Economie a d’ores et déjà annoncé : « Le rééquilibrage des relations commerciales passe par une responsabilité individuelle de chacun des acteurs : producteurs, industriels, distributeurs, consommateurs… Cela ne passe pas nécessairement par une refonte du cadre législatif. La loi ne doit pas tout régler. Elle ne doit intervenir qu’en dernier recours ».
Le ministère de l’Agriculture a toutefois précisé que « si c’est utile, nous ferons une loi. On ne s’interdit a priori aucun levier pour agir ».
Un message qui a été bien entendu par l’ensemble des fédérations professionnelles de la filière agroalimentaire, chacune souhaitant être force de proposition.
En finir avec le dogme des prix bas
Producteurs, transformateurs et distributeurs s’accordent à considérer qu’il faut « sortir du dogme des prix bas » et mettre fin à la spirale déflationniste générée par la Loi de modernisation de l’économie (LME) de 2008[1], cette spirale étant destructrice de valeur pour l’ensemble de la filière agroalimentaire.
Si certains, tels que la Confédération paysanne, seraient favorables à une réécriture complète de la LME afin d’encadrer la répartition de la valeur tout au long de la filière, la plupart des opérateurs semblent s’accorder sur deux mesures phares :
- le relèvement du seuil de revente à perte par l’application d’un coefficient multiplicateur qui pourrait être fixé par catégorie de produits : cette mesure permettrait de créer de la valeur dont une partie pourrait servir à abonder un fonds agricole ;
- l’encadrement des promotions : la loi Sapin 2 est d’ores et déjà venue plafonner les nouveaux instruments promotionnels (NIP) pour certains produits agricoles[2] à 30% de la valeur du barème de prix unitaire des produits en cause, frais de gestion compris[3]. L’idée serait aujourd’hui d’étendre cette disposition à de nouvelles catégories de produits agroalimentaires et d’instaurer un plafonnement en volume en sus du plafonnement en valeur que l’on connaît aujourd’hui. L’objectif serait ainsi d’éviter un usage abusif des promotions par les distributeurs pour rapprocher le prix des produits de leur valeur réelle afin que les consommateurs reprennent conscience du « vrai prix » des produits.
Reste à savoir quel sera le périmètre exact de ces nouvelles dispositions[4] et quand elles pourront réellement entrer en vigueur. A cet égard, Stéphane Travert a déclaré, le 27 août dernier, que le Gouvernement « n’exclut pas d’ajuster » la LME en précisant que « si nécessaire, nous pourrions passer par des ordonnances ou décrets pour être opérationnels rapidement et donner un signal pour la reprise des négociations commerciales annuelles mi-octobre ».
Il ne faudra toutefois pas confondre vitesse et précipitation ! En effet, toutes les lois qui se sont succédé depuis 1996 et la fameuse loi Galland ont toujours eu pour objectif de répondre à certains travers présentés par le cadre législatif alors applicable. Or on s’est vite aperçu que si lesdits travers ont certes disparu (ou se sont à tout le moins atténués) dans le cadre de la nouvelle législation, de nouveaux travers bien plus pervers et dangereux ont fait leur apparition.
La LME est ainsi une loi qui a de très nombreux avantages et qui a été saluée par la droite comme par la gauche à l’époque[5] mais qui est fortement décriée aujourd’hui car on l’accuse d’être à l’origine de la guerre des prix dont pâtissent les producteurs agricoles mais aussi les industriels des filières agroalimentaires comme celle de la charcuterie notamment.
Alors, disons-le, rien n’est simple et on peut d’ores et déjà se donner rendez-vous à Bercy et rue de Grenelle, à Paris, dans cinq ans, car nous pouvons être quasiment certains que nous critiquerons alors les dispositions qui pourraient être adoptées dans les mois qui viennent.
Pour autant, ce n’est pas là une volonté d’immobilisme de notre part mais une simple invitation à bien réfléchir. L’équation est en effet complexe puisqu’elle implique non pas trois intervenants mais bien quatre : le producteur agricole, le transformateur ou industriel, le distributeur et, enfin, le consommateur qui en est le pivot central, une sorte de barycentre pourrait-on dire. Or si l’on calcule mal le barycentre, la grue s’effondre ; ici, ce serait la nouvelle construction législative…
A cet égard, le président de l’UFC Que choisir, qui participe également à ces EGA, a indiqué, dès l’ouverture des EGA : « nous espérons que les Etats Généraux de l’Alimentation ne seront pas une vaste opération pour justifier une hausse des prix aux consommateurs ». On voit bien ici qu’il existe des intérêts très divergents qu’il va être difficile de concilier…
Une simplification du Code de commerce pour plus d’efficacité
L’ANIA (Association Nationale des Industries Alimentaires), la FEEF (Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France), l’ILEC (Institut de liaisons et d’études des industries de consommation), la FCD (Fédération du Commerce et de la Distribution) ainsi que d’autres fédérations professionnelles moins ancrées sur le terrain des produits alimentaires font toutes le même constat : avec huit lois en 15 ans, le Code de commerce et, en particulier, le titre IV de son livre IV relatif aux pratiques restrictives de concurrence, est devenu trop complexe et doit être simplifié afin de le rendre plus efficace et plus accessible, notamment pour les PME qui ne disposent pas de services juridiques, à la différence des grands groupes industriels.
A cette fin, plusieurs pistes sont évoquées :
- la division de l’actuel article L. 441-6 en deux articles distincts – l’un relatif aux conditions générales de vente et l’autre relatif aux délais de paiement – pour plus de lisibilité ;
- l’introduction, dans le code de commerce, de l’exigence de contreparties clairement identifiées aux réductions de prix octroyées par le fournisseur, faisant ainsi directement écho à l’arrêt Galec rendu par la Cour de cassation le 25 janvier 2017[6];
- un toilettage de l’article L. 442-6 afin de le recentrer sur la notion de déséquilibre significatif : attention toutefois à ne pas vouloir trop simplifier car le résultat pourrait certes apparaître chatoyant pour les juristes mais la loi sur les négociations commerciales doit avant tout avoir pour objectif d’être lisible et facilement applicable par des opérationnels sur le terrain, avec un résultat qui soit au bout du bout équilibré de part et d’autre.
Si ces modifications semblent faire l’unanimité, à tout le moins côté fournisseurs, d’autres points sont encore sujets à discussion, en particulier l’actuel article L. 441-8 du Code de commerce relatif aux clauses de renégociation.
En effet, alors que les fédérations représentant le monde agricole (FNSEA et Jeunes agriculteurs notamment) ainsi que certaines industries agroalimentaires (la FICT – Fédération Française des Industriels Charcutiers, Traiteurs, Transformateurs de Viandes[7] notamment) sont favorables à un renforcement de ces dispositions, d’autres souhaitent la suppression pure et simple de cet article L 441-8, estimant qu’un refus de renégocier le prix convenu en cours d’année alors qu’une telle renégociation est justifiée par une évolution du cours des matières premières serait constitutive d’un déséquilibre significatif d’ores et déjà sanctionné au titre de l’article L. 442-6.
Pour notre part, nous considérons que la solution n’est pas de dire « courage fuyons, cela ne sert à rien, donc supprimons-le … », mais d’aller au charbon et de défendre la voie de la modification de ces dispositions afin de les rendre plus efficaces sur le plan opérationnel.
Les propositions de modifications susvisées devraient être présentées par les uns et les autres et discutées dans le cadre des EGA et pourraient donner lieu à une modification du Code de commerce par voie législative ou, plus vraisemblablement, par voie d’ordonnance.
Vers une multiplication des contrats tripartites ?
Au cours de l’année 2016, la plupart des grands distributeurs ont annoncé la conclusion de contrats tripartites[8], notamment dans les filières laitière et porcine. Ces contrats reposent sur les principes suivants :
- les producteurs s’engagent à respecter un cahier des charges strict en matière notamment de bien-être animal, d’origine géographique, de respect de l’environnement, etc. : les distributeurs sont ainsi en mesure de proposer aux consommateurs des produits plus qualitatifs pour lesquels le consommateur est prêt à payer plus cher, ce qui permet de créer de la valeur qui peut être reversée aux producteurs ;
- les distributeurs s’engagent sur des volumes et ce, sur plusieurs années, afin de sécuriser les producteurs et de les inciter à investir ;
- les transformateurs s’engagent quant à eux à reverser une partie de cette valeur ajoutée aux producteurs en tenant compte notamment des coûts de production de ces derniers.
Certains distributeurs regrettent toutefois que les industriels ne soient pas plus enclins à conclure ce type de contrat. Michel Biero, directeur des achats chez Lidl, indiquait ainsi au Parisien, en janvier 2017 : « nous réclamons une loi qui impose les contrats tripartites aux industriels »[9].
Sans aller jusque-là, l’article 96 de la loi Sapin 2 prévoit la remise, par le Gouvernement au Parlement, d’ici la fin de l’année 2017, d’un rapport sur l’opportunité de favoriser fiscalement et règlementairement « la mise en place de contrats tripartites et pluriannuels entre les agriculteurs, les transformateurs et les distributeurs » en matière agroalimentaire.
La multiplication de ce type de contrats tripartites constitue indéniablement l’une des solutions d’avenir à laquelle les EGA et les participants actifs sur le sujet vont devoir réellement réfléchir et ce, d’autant plus que le groupe de travail sur les marchés agricoles mis en place par la Commission européenne s’est également montré très favorable à ce type d’initiatives[10].
Le défi du droit de la concurrence appliqué au monde agricole
Une autre piste de réflexion régulièrement évoquée par les représentants du monde agricole pour améliorer les revenus des producteurs est une évolution du droit de la concurrence afin de faciliter le regroupement de l’offre des producteurs et de rééquilibrer ainsi les rapports de force dans la chaîne agroalimentaire.
Sur ce point, le Gouvernement a rappelé, dans le cadre de la consultation publique, que la PAC prévoit d’ores et déjà un cadre dérogatoire au droit de la concurrence en matière agricole mais que les possibilités données aux producteurs sont encore peu utilisées.
Le Gouvernement estime donc que « pour rééquilibrer le rapport de force dans la chaîne agroalimentaire, des clarifications sur ce qu’il est possible de faire ou une simplification du droit de la concurrence sont nécessaires. Si des manques par rapport aux dérogations possibles apparaissent, il convient aussi de prévoir l’élargissement des dérogations et leur approfondissement dans le cadre européen et national ».
A cet égard, des propositions d’amendements au règlement dit omnibus[11] visant à faciliter et renforcer l’organisation des producteurs sont actuellement en cours de discussions au niveau européen. Ces amendements prévoient notamment l’extension du paquet lait à l’ensemble des filières agricoles via la création d’une nouvelle forme d’organisation dénommée « organisations de négociation » qui pourraient concentrer l’offre de leurs membres même en l’absence de transfert de propriété, ce qui constituerait une dérogation significative au droit de la concurrence.
Il est certain que ces travaux seront suivis de près tout au long des EGA dont les résultats devraient influencer les prises de position de la France dans les discussions en cours à Bruxelles sur la PAC 2020.
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Le programme de ces EGA est donc assurément ambitieux, les sujets abordés extrêmement nombreux et variés et le calendrier très resserré.
Il est donc vraisemblable que ce « grenelle de l’alimentation » – comme certains l’appellent – ne donne lieu qu’à de simples recommandations de la part du Gouvernement pour les négociations commerciales 2018, de véritables réformes pouvant être attendues plus raisonnablement pour les négociations commerciales 2019.
Nous entendons, de notre côté, être présents tout au long de ces EGA et vous tenir informés de leur avancée, sachant que nous serons également force de proposition.
[1] Le rapport récemment commandé par le Ministère de l’Economie et portant notamment sur l’évaluation des effets de la LME souligne en effet que cette loi a fait baisser le prix des produits alimentaires de marque nationale de 2,3% par rapport aux produits à marque de distributeur (MDD).
[2] Fruits et légumes, à l’exception des pommes de terre de conservation, destinés à être vendus à l’état frais au consommateur ; viandes fraîches, congelées ou surgelées de volailles et de lapins ; œufs ; miels ; lait et produits laitiers.
[3] Article L. 441-7, I, 8ème alinéa du Code de commerce.
[4] On ne peut en effet totalement exclure que ces deux mesures concernent l’ensemble des produits et non les seuls produits alimentaires.
[5] L’objectif premier de la LME était en effet de rendre du pouvoir d’achat aux consommateurs dans un contexte inflationniste.
[6] Cass. com., 25 janvier 2017, n°15-23.547.
[7] Communiqué de presse de la FICT du 21 juillet 2017.
[8] Auchan et Lidl notamment ont largement communiqué sur ces initiatives.
[9] Le Parisien, « Des laits vraiment solidaires ? », 30 janvier 2017.
[10] « Improving market outcomes – Enhancing the position of farmers in the supply chain », Report of the Agricultural Markets Task Force, novembre 2016.
[11] Règlement relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union européenne.
Cabinet d’avocat Grall et Associés, spécialisé en Doit de la Concurrence, Droit de la Consommation, Droit de la Distribution.