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Sans doute une victoire au goût amer pour les entreprises ayant posé la question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion du recours qu’elles ont dirigé contre la décision de l’Autorité de la concurrence les ayant sanctionnées pour obstruction à l’enquête sur le fondement du second alinéa de l’article L. 464-2, V° du Code de commerce, qui dispose que :

« Lorsqu’une entreprise a fait obstruction à l’investigation ou à l’instruction, notamment en fournissant des renseignements incomplets ou inexacts, ou en communiquant des pièces incomplètes ou dénaturées, l’Autorité peut, à la demande du rapporteur général, et après avoir entendu l’entreprise en cause et le commissaire du Gouvernement, décider de lui infliger une sanction pécuniaire. Le montant maximum de cette dernière ne peut excéder 1 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre »

Ces dispositions sont-elles conformes à la Constitution, et notamment aux principes de légalité des délits et des peines, d’individualisation et de proportionnalité des peines, ou encore de nécessité des délits et des peines, pour ne citer qu’eux ? C’est la question à laquelle le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 26 mars 2021, répondu par la négative, mais en limitant drastiquement la portée de cette inconstitutionnalité.

Les sociétés critiquaient en substance l’imprécision du texte, notamment sur la notion d’obstruction et sur le montant de l’amende, ainsi que le cumul possible entre cette amende administrative et l’infraction d’opposition à l’exercice des missions des agents de l’Autorité de la concurrence, prévue par l’article L. 450-8 du code de commerce, ou celle de bris de scellés apposés par l’autorité publique, prévue par l’article 434-22 du code pénal.

Le Conseil Constitutionnel indique que l’obstruction aux mesures d’investigation ou d’instruction s’entend de toute entrave au déroulement de ces mesures, imputable à l’entreprise, qu’elle soit intentionnelle ou résulte d’une négligence. Il ajoute qu’il appartient à l’Autorité de la concurrence de proportionner le montant de l’amende à la gravité du manquement et qu’il en résulte que le texte ne souffre pas de lacune à cet égard.

Il analyse ensuite les dispositions de l’article L. 450-8 du Code de commerce qui punit de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 300 000 euros le fait pour quiconque de s’opposer, de quelque façon que ce soit, à l’exercice des fonctions dont les agents de l’Autorité de la concurrence sont chargés.

Il constate dans un premier temps que l’article L. 450-8 du code de commerce et les dispositions contestées tendent à réprimer les mêmes faits qualifiés de manière identique. Il ajoute ensuite que ces deux répressions protègent les mêmes intérêts sociaux en ce qu’elles visent à assurer l’efficacité des enquêtes conduites par l’Autorité de la concurrence, pour garantir le respect des règles de concurrence nécessaires à la sauvegarde de l’ordre public économique.

Enfin, il relève que lorsqu’il s’applique à des entreprises, le délit prévu à l’article L. 450-8 du code de commerce est puni d’une amende de 1 500 000 euros, conformément à l’article 131-38 du code pénal qui prévoit que le montant maximum de l’amende est multiplié par cinq pour les personnes morales. Le Conseil Constitutionnel admet ainsi que la nature de cette sanction n’est pas différente de celle de l’amende prévue par les dispositions contestées, dont le montant ne peut excéder 1 % du montant du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.

Le Conseil Constitutionnel en conclut que les dispositions contestées méconnaissent le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, dans la mesure où la répression administrative prévue par les dispositions contestées et la répression pénale organisée par l’article L. 450-8 du code de commerce relèvent de corps de règles identiques protégeant les mêmes intérêts sociaux aux fins de sanctions de même nature.

Mais, alors qu’il annonce que les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution, il précise ensuite que « les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur ». Une lecture attentive de la décision permettra de comprendre que le Conseil constitutionnel s’est saisi de l’alinéa 2 de l’article L. 464-2, V° du Code de commerce « dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles ».

Si le texte a subi des modifications, il est tout à fait normal de tenir compte de la version du texte en vigueur au moment du litige au cours duquel il a été appliqué. Mais l’ordonnance du 9 mars 2017 visée par le Conseil Constitutionnel n’a pas modifié l’alinéa 2 du paragraphe V, mais le troisième alinéa du premier paragraphe. En réalité, les dispositions contestées n’ont jamais été modifiées depuis leur création en 2008.

Il semble donc que le Conseil Constitutionnel tienne compte de toute modification apportée à l’ensemble de l’article L. 464-2 du Code de commerce, et non seulement aux dispositions contestées, pour délimiter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Dans la mesure où l’article L. 464-4 du Code de commerce a récemment été modifié par la loi du 3 décembre 2020, la déclaration d’inconstitutionnalité est donc cantonnée à la « version » du texte en vigueur entre le 9 mars 2017 et le 3 décembre 2020. Les dispositions contestées et jugées inconstitutionnelles sont donc toujours en vigueur alors même qu’elles sont strictement identiques à la version censurée par le Conseil Constitutionnel !

De plus, le Conseil Constitutionnel précise que dans les procédures en cours fondées sur les dispositions contestées, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée seulement lorsque l’entreprise poursuivie a préalablement fait l’objet de poursuites sur le fondement de l’article L. 450-8 du code de commerce. Cette précision privera les entreprises concernées du bénéfice de la déclaration d’inconstitutionnalité, puisque l’Autorité de la concurrence n’a pas déclenché de procédure parallèle sur le fondement de l’article L. 450-8 du Code de commerce, le but étant justement d’éviter les contraintes d’une procédure pénale devant le juge.

Il en résulte que la déclaration d’inconstitutionnalité n’aura que très peu d’effets, si ce n’est aucun, puisqu’à notre connaissance aucune entreprise n’a été sanctionnée sur le fondement des deux articles L. 464-2, V° et L. 450-8 du Code de commerce, et l’Autorité de la concurrence se gardera bien de le faire à l’avenir !

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