Le 21 juillet 2016, l’Autorité de la concurrence a sanctionné les deux principaux fournisseurs français d’appareils de chauffage d’appoint à combustible liquide, PVG et Ligne Plus, et l’un de leur distributeur, Leroy Merlin, d’une amende d’un montant total de 9 013 000 euros, pour ententes anticoncurrentielles entre 2005 et 2008.
Plus précisément, ce sont trois ententes que sanctionne l’Autorité de la concurrence dans sa décision n° 16-D-17 :
Ces pratiques sont considérées comme particulièrement graves dans la mesure où elles ont entravé la concurrence entre les deux marques existantes (concurrence dite « inter- marques ») et entre
les distributeurs d’une même marque (concurrence dite « intra-marque »).
Les deux fournisseurs ont choisi de ne pas contester les griefs qui leur étaient reprochés ; ainsi
les infractions ont été considérées comme établies à leur égard sans que l’Autorité n’ait à démontrer leur participation individuelle à l’infraction.
L’entente horizontale sur les prix a été caractérisée par des échanges d’informations portant sur les prix entre les deux fournisseurs et l’application effective des prix qui étaient proches ou identiques aux prix échangés. Concernant la répartition de clientèle, les griefs reposent notamment sur le constat d’une absence de démarchage de certains distributeurs par l’un ou l’autre des deux fournisseurs, et sur l’existence d’une exclusivité de fait pour certains distributeurs au bénéfice de l’un ou l’autre des deux fournisseurs.
S’agissant des ententes verticales entre chaque fournisseur et leurs distributeurs visant à fixer les prix de revente aux consommateurs, les trois éléments suivants (méthode dite du « triple test ») ont été relevés :
Contrairement aux deux fournisseurs qui n’ont pas contestés les griefs notifiés, Leroy Merlin et Brico Dépôt ont souhaité entrer en voie de contestation des griefs. Si pour le premier, le Collège de l’Autorité a constaté que sa participation individuelle à l’infraction était démontrée, il a considéré que les pratiques d’entente verticale n’étaient pas établies envers le second.
La démonstration de la participation de Leroy Merlin à l’entente a donc fait l’objet d’une discussion devant l’Autorité. L’Autorité a pu ainsi rappeler son standard de preuve en matière d’ententes verticales sur les prix.
Tout d’abord, elle reprend une jurisprudence constante selon laquelle la preuve de l’accord de volontés entre les parties à une entente est établie lorsqu’il est démontré :
Cette preuve peut être apportée par tout moyen. Elle ajoute qu’en particulier, s’agissant d’une entente sur les prix :
« la démonstration de l’accord de volontés résulte de preuves documentaires directes et, à défaut, de preuves comportementales indirectes constituées par la réunion d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants » (§136 de la décision).
Peuvent être considérées comme des « preuves documentaires directes » : des notes internes, des déclarations, des comptes rendus de réunion, des projets d’ordre du jour, des notes de séance de réunion, etc.
En l’espèce, l’ADLC a constaté l’existence de quatre preuves documentaires directes, des échanges de courriels, démontrant chacune « sans ambiguïté possible », l’accord de volontés entre PVG France et Leroy Merlin.
Ces échanges seront en partie reproduits ci-dessous car ils constituent une belle illustration de
ce qu’il est interdit de faire au regard du droit de la concurrence :
« Budget sur 1er prix : – un budget de 4% sur les 1er prix mèche et 8% sur les 1er prix électronique sera accordée par PVG sous forme de contrat séparé afin de ne pas avoir d’incidence
sur le SRP. Cependant une exception est faite chez Leroy merlin ou cette remise sera sur facture en contrepartie d’un engagement de prix public, avec possibilité de modifier ce prix en cas de dérive chez les concurrents de LM (Castorama, Bricodépôt, Bricomarché, Carrefour, Leclerc) sur des produits de qualités similaires, ainsi que de la facturation des magasins LM
par l’entrepôt aux tarifs de base.
Accord sur les prix des appareils de marque Zibro, et respect des prix public préconisés » (§140).
Dans un deuxième courriel, PVG France n’a pas hésité à demander à Leroy Merlin des explications sur le non-respect des prix de revente ; la réponse ne s’est alors pas fait attendre :
« Je leur demande de remonter ce prix expressément », Leroy Merlin prend les mesures nécessaires en interne pour faire respecter les termes de l’accord : « J’ai passé un temps infini avec PVG pour qu’il nous accorde des prix d’achat qui nous permettent de marger ; en contrepartie, je m’étais engagée à ce que Leroy Merlin respecte le prix de vente » (courriel adressé aux magasins Leroy Merlin concernés).
Les autres échanges sont similaires. PVG indique des prix de revente à respecter et Leroy Merlin confirme à PVG l’application de ces prix ; ou bien PVG rappelle à l’ordre Leroy Merlin sur les prix pratiqués, l’enseigne réagissant alors rapidement afin de les faire respecter, tout en en informant PVG (§139 à 144).
Ces échanges constituant des preuves documentaires directes de l’accord de volontés, l’Autorité considère qu’il n’y a pas besoin de recourir à la caractérisation du faisceau d’indices
ou « triple test », contrairement à ce qu’invoquait Leroy Merlin.
En particulier, l’Autorité écarte l’argument de Leroy Merlin sur la représentativité insuffisante des relevés de prix. Les relevés de prix servent en général à la démonstration du troisième critère du faisceau d’indices à savoir l’application par le distributeur des prix de revente.
Cependant, cet élément n’est pas nécessaire en l’espèce puisque la participation de Leroy Merlin à l’entente ressort explicitement des courriels.
Il faut retenir de cette décision que l’application significative par les distributeurs des prix recommandés et/ou la surveillance par le distributeur des comportements déviants des concurrents ne sont pas des éléments de preuve nécessaires en présence de preuves directes de l’acquiescement des distributeurs aux demandes du fournisseur.
Les pratiques étant établies à l’encontre des entreprises en cause, l’Autorité s’est ensuite prononcée sur l’imputabilité de ces pratiques et sur les sanctions à infliger ; quelques éléments sont à relever.
La société Groupe Adeo a tenté de faire valoir qu’elle n’était qu’une holding non opérationnelle pour contester l’imputation, en sa qualité de société mère ultime de la société Leroy Merlin,
des pratiques mises en œuvre par cette dernière. Cependant, l’Autorité a rappelé que
« le fait que l’entité détenant la totalité ou la quasi-totalité du capital d’une autre entité ou contrôlant la totalité ou la quasi-totalité des parts sociales de cette autre entité soit constituée sous la forme juridique d’une holding purement financière ou d’une fondation plutôt que d’une société n’est pas suffisant pour renverser cette présomption ».
Elle a estimé qu’en l’espèce, la présomption ne pouvait être renversée sur le fondement
des éléments apportés par les parties et donc infligé une sanction pécuniaire solidairement aux sociétés Leroy Merlin et Groupe Adeo.
Pour le calcul de la sanction, l’Autorité a considéré, qu’en l’espèce, la prise en compte de la valeur des ventes durant le dernier exercice comptable complet de participation à l’infraction n’était pas appropriée en raison de l’irrégularité des ventes constatées selon les années pour les trois entreprises concernées, avec une baisse sensible en 2007. L’Autorité a donc retenu une moyenne de la valeur des ventes réalisées pendant toutes les années des pratiques, jugée plus représentative.
Par ailleurs, l’Autorité a augmenté de 20% la sanction infligée à Leroy Merlin en raison de la taille et de la puissance économique importante du Groupe Adeo (auquel la société Leroy Merlin appartient).
Enfin, les deux fournisseurs, PVG et Ligne Plus, ont obtenu 16% de réduction du montant de leur amende au titre de la procédure de non contestation des griefs, assortie d’engagements.
En définitive, les fournisseurs ont été condamnés, solidairement avec leurs sociétés mères, à une amende de 4 000 000 euros pour PVG et 4 218 000 euros pour Ligne Plus. Leroy Merlin a, quant à lui, écopé d’une sanction pécuniaire de 795 000 euros.
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Ce qu’il faut retenir : en matière d’ententes verticales sur les prix de revente, le standard de preuve des autorités françaises de concurrence s’avère d’une extrême légèreté et mieux vaut prendre garde à ce que l’on écrit, à ce que l’on dit …
Prochain épisode : l’optique !