Tribunal de commerce de Paris, 11 mai 2021, n° RG 2018014864
Par jugement du 11 mai 2021, le Tribunal de commerce de Paris a débouté le Ministre de l’économie qui avait assigné en 2018 le Groupement d’achat E.Leclerc (ci-après le « Galec ») pour avoir exigé de certains de ses fournisseurs de l’industrie agroalimentaire des remises jugées sans contrepartie : « remises sur facture inconditionnelles » au titre des années 2013 à 2015 et ce, pour des produits également commercialisés au sein des magasins exploités sous l’enseigne LIDL, ce qui a pu être dénommé la « taxe Lidl ».
A ce titre, le Tribunal relève que l’action du ministre était en réalité mal fondée et rejette en conséquence ses demandes.
Il s’agit là d’une décision contestable qui démontre une très mauvaise compréhension des dispositions de l’ancien article L.442-6-I-1° du Code de commerce devenu aujourd’hui l’article L. 442-1 du Code de commerce.
Cette décision fait suite à une enquête menée en 2017 par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après la « DGCCRF ») consistant à étudier spécifiquement les conditions d’application d’une « remise additionnelle » de 10 % sur des produits de marque nationale qui étaient également commercialisés chez Lidl.
En l’espèce, cette remise n’était pas prévue dans les contrats cadres et aurait été imposée aux fournisseurs par le Galec, sur trois années consécutives de 2013 à 2015, lorsque les mêmes produits étaient commercialisés à la fois par les centres Leclerc et par les magasins de l’enseigne Lidl.
L’enquête a permis d’identifier 22 fournisseurs concernés par cette « taxe Lidl » parmi lesquels figurent de grands groupes de l’industrie agroalimentaire tels que Bel, Fleury Michon, Unilever ou encore Nestlé.
C’est dans ce contexte que la DGCCRF a assigné le 28 février 2018 le Galec devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de cessation de cette pratique, et que celle-ci soit qualifiée d’avantage sans contrepartie sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce.
En outre, la DGCCRF demandait à ce que le Galec soit condamné à verser au Trésor public les sommes indûment perçues à hauteur de 83.035.774 € à charge pour celui-ci de les restituer aux fournisseurs concernés, et que soit prononcée à son encontre une amende de 25 millions d’euros.
Plus précisément, le cœur de cette affaire porte sur la qualification de la remise additionnelle litigieuse au regard de l’ancien dispositif prévu par le Code de commerce qui n’envisageait pas la notion de contrepartie dans l’article L.442-6-I-1° du Code de commerce en ne visant que la notion de « service commercial » :
« I. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
1° D’obtenir ou de tenter d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. […] ».
Rappelons que l’Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées, a fait le choix de ne retenir, au titre des pratiques restrictives de concurrence, que deux pratiques que sont l’avantage sans contrepartie et le déséquilibre significatif (aujourd’hui prévues à l’article L. 442-1 du Code de commerce), outre bien entendu la rupture brutale de relations commerciales établies.
Pour sa part, le Ministre de l’économie considérait que ces remises constituaient indéniablement – et il avait raison – des avantages sans contrepartie obtenus par le Galec contrevenant ainsi clairement aux dispositions de l’ancien article L. 442-6-I-1° du Code de commerce.
A l’inverse, le Galec soutenait que ces remises constitueraient en réalité des réductions de prix ayant fait l’objet de négociations, et ayant été acceptées par les fournisseurs et ce, conformément aux dispositions de l’ancien article L. 441-7-1-1° du Code de commerce définissant le contenu de la convention écrite devant intervenir entre un fournisseur et un distributeur.
Cet article prévoit notamment que la convention écrite conclue entre un fournisseur et son distributeur doit comporter « les conditions de l’opération de vente des produits ou des prestations de services telles qu’elles résultent de la négociation commerciale dans le respect de l’article L. 441-6, y compris les réductions de prix ».
Contre toute attente, le Tribunal de commerce de Paris tranche en faveur du Galec et met en avant l’erreur de fondement juridique qui aurait été commise par le Ministre de l’économie, en n’ayant fondé son argumentation que sur un seul et unique article, l’article L.442-6-I-1° du code de commerce :
- « L’examen par le tribunal de l’ensemble des contrat-cadres versés au débat montre que les remises visées par le ministre dénommées toutes « Remises sur facture inconditionnelle » ne se réfèrent à aucun service commercial sur lequel les parties se seraient accordées » ;
- « Dès lors, le ministre ayant formulé sa demande au titre exclusif de l’article L.442-6-1-1° du code de commerce, fondé sur le seul moyen de l’absence d’un service commercial effectivement rendu, alors que celui-ci n’était prévu par aucun des contrat-cadres litigieux, le tribunal dit l’action du ministre mal fondée ». [nous souignons]
En d’autres termes, le Tribunal de commerce de Paris juge de manière très surprenante que les contrats concernés en n’imposant pas la prestation d’un service ne pouvaient servir de fondement à une condamnation pour absence de service effectivement rendu ; là nous sommes d’accord sauf que ce n’est pas le problème et encore moins la question posée qui était de savoir si ces remises exigées des fournisseurs avaient ou non une contrepartie ; or de contrepartie, il n’y en avait pas a priori puisque que c’était ni plus ni moins qu’une sorte d’amende que devaient payer les fournisseurs dont les produits se retrouvaient également dans les magasins Lidl, ce qui est bien traduit par l’appellation d’origine non-contrôlée donnée à l’époque de « taxe Lidl ».
Le dispositif prévu à l’époque qui ne comportait pas, il est vrai, le terme de contrepartie contrairement à aujourd’hui :
« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :
1° D’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ; […]»,
a été considéré par le Tribunal comme ne permettant pas d’asseoir la demande du Ministre de l’économie !
L’ancienne rédaction ne permettait donc pas, selon les magistrats consulaires parisiens, de sanctionner l’exigence de remises et donc de réductions de prix, fussent-elles non justifiées !
Or cela est faux et la Cour d’appel de Paris dans un arrêt Gelco France / EMC du 13 septembre 2017 a considéré que ce dispositif était pleinement applicable aux avantages tarifaires et donc aux remises/ristournes versées par un fournisseur à son client :
« La lettre du texte vise un “avantage quelconque” et un “service commercial”, sans précision. Si la société EMC soutient que les ristournes ne constitueraient pas la contrepartie de services rendus par le fournisseur, au sens de l’article précité, il ressort des pièces versées que le législateur visait une “coopération commerciale dite “fictive”, c’est-à-dire dépourvue de contrepartie réelle, le fournisseur se voyant alors contraint de verser des primes ou de consentir des ristournes sans obtenir en retour un avantage commercial particulier”. De même, la circulaire du 8 décembre 2005 relatives aux relations commerciales indique que “toute demande de rémunération de services de coopération commerciale ou de services distincts, ou d’obtention de réduction de prix au titre des CGV/CPV, doit correspondre, respectivement, à un service effectivement rendu, ou à une contrepartie effectivement obtenue…”
Aussi convient-il de retenir que le “service commercial” tel que prévu par le texte, n’est pas limité à l’application de ces seuls services, ainsi que l’a estimé la commission d’examen des pratiques commerciales, et que l’article L.442-6 I 1er s’applique aux ristournes telles qu’elles sont prévues dans les contrats conclus entre les deux parties. »
Nul doute que la Cour d’appel de Paris devrait donc corriger le tir !
Affaire à suivre …