Par une décision du 9 septembre 2021, l’Autorité de la concurrence a sanctionné plusieurs entreprises et organismes professionnels pour avoir freiné l’essor, par le biais d’actions de boycott, du développement des nouveaux acteurs du numérique évoluant dans le secteur du transport routier. Les actions de boycott avaient été mises en œuvre par les acteurs traditionnels du secteur (bourses de fret, commissionnaires de transport) et dirigées à l’encontre de nouveaux acteurs, qualifiés de « disrupters », c’est-à-dire des plateformes numériques d’intermédiation, nouvellement apparues en France, au cours de l’année 2016[1], telles que Chronotruck, Everoad ou Fretlink. Ces plateformes visent à mettre directement en relation les clients chargeurs avec des transporteurs au travers d’une interface en ligne, en utilisant des méthodes de géolocalisation immédiate[2]. Dans ce secteur, sont également apparus des éditeurs de logiciels de traçabilité, comme Shippeo par exemple, proposant des solutions technologiques permettant le suivi et la gestion de flottes de camions, sans intervenir dans les relations commerciales[3].
Les pratiques litigieuses ont consisté en l’établissement d’une stratégie commune par la bourse de fret B2Pweb et sa maison mère H2P, les groupements de transporteurs Evolutrans, Astre, Flo, Tred Union et ASTR, ainsi que les syndicats UNOSTRA et, plus tardivement OTRE, visant à bloquer l’entrée et le développement de ces nouvelles plateformes numériques d’intermédiation et du logiciel de traçabilité Shippeo. Ces échanges sur le « Lobbying anti-plateformes » ont notamment eu lieu lors de conseils de gouvernance de H2P ou lors d’échanges bilatéraux avec le président de H2P.
En outre, chacun des groupements et des syndicats professionnels avaient lancé à destination de leurs adhérents des consignes explicites d’appels à boycott de ces plateformes. Ainsi, les organismes en cause invitaient par exemple les transporteurs à ne pas collaborer avec ces plateformes, en soutenant, que sans camion, ces dernières ne pourraient rien proposer aux chargeurs. Certains organismes allaient même jusqu’à diffuser une liste des plateformes avec lesquelles ses adhérents avaient interdiction de travailler. Ces communications visaient à alerter les adhérents sur les prétendus « dangers » allégués résultant de l’utilisation de ces plateformes et logiciels pour la profession et les appeler à ne pas collaborer avec ces nouvelles « bourses de fret digitales ».
Au regard des faits, l’Autorité a aisément pu caractériser une pratique de boycott contraire aux articles 101 du TFUE et L 420-1 du Code de commerce, infraction réputée grave en droit de la concurrence et dont l’objet, en tant que tel, est anticoncurrentiel. Selon l’Autorité de la concurrence, de telles pratiques ont nécessairement entravé le développement de ces nouveaux acteurs et limiter la concurrence et l’innovation dans un secteur en pleine évolution.
Au total et pour l’ensemble des acteurs concernés, le montant total des sanctions s’élève à la somme de 500.000 €, répartie de la façon suivante :
Entreprise ou organisme | Sanction (€) |
Bourse Premium Professionnel, solidairement avec la société Holding Premium Professionnel | 350 000 |
Evolutrans | 27.000 |
Association des Transporteurs Européens | 50.000 |
France Lots Organisation | 25.000 |
Tred Union | 28.000 |
Groupement d’Achats et de Services des Transports Routiers | 9000 |
Union Nationale des Organisations Syndicales des Transporteurs Routiers | 1000 |
Organisation des Transporteurs Routiers Européens | 10.000 |
Si la sanction était inévitable pour les acteurs économiques en cause, la décision de l’Autorité de la concurrence est très instructive en ce qui concerne le domaine d’intervention de ces nouveaux acteurs du numérique dans le secteur des transports.
[1] Points 27 et suiv. de la décision n° 21-D-21.
[2] Point 27 de la décision n° 21-D-21.
[3] Point 43 de la décision n° 21-D-21.