Projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume‑Uni de l’Union européenne
L’évolution de la loi Egalim se poursuit. Le 5 février dernier, le Gouvernement avait déjà déposé devant le Sénat un projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (voir notre précédente note) dont l’article 44 lui permettait notamment de prolonger, par voie d’ordonnance et pour une durée ne pouvant excéder trente mois, les mesures de majoration du seuil de revente à perte de 10 % et d’encadrement des avantages promotionnels en valeur (34 % du prix de vente au consommateur) et en volume (25 % du chiffre d’affaires ou du volume prévisionnels). A la suite des discussions au Sénat, ce texte avait fait l’objet de deux modifications majeures : d’une part, la durée de l’expérimentation ne pouvait être prolongée que de quatorze mois à compter du 1er janvier 2021 ; d’autre part, les produits à caractère saisonnier marqué étaient expressément exclus du champ d’application de l’encadrement en volume des promotions.
Transmis à l’Assemblée nationale le 6 mars, ce texte est depuis demeuré lettre morte, notamment en raison du contexte sanitaire actuel. Néanmoins, saisissant l’opportunité offerte par le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid‑19, le Gouvernement a intégré à l’article 2 un 5° l’autorisant, par voie d’ordonnance, à :
Ce projet de loi a été déposé à l’Assemblée nationale le 7 mai, en procédure accélérée(1). Reprenant les constats dressés pour le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, le Gouvernement a réutilisé les mêmes arguments afin de justifier ces mesures (pour un exposé détaillé des arguments, voir notre précédente note).
L’objectif principal de la prolongation de l’expérimentation est de bénéficier de suffisamment de recul afin d’évaluer son réel impact. La majoration du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions n’étaient initialement prévus que pour une durée de deux ans, ce qui n’offrait pas, selon le Gouvernement, le recul nécessaire permettant d’observer leur influence, notamment sur les revenus des agriculteurs. Prolonger l’application de ces mesures pour une durée de trente mois permettrait de décider, en toute connaissance de cause, des suites à donner à l’expérimentation.
Au sujet du renforcement des contrôles, le Gouvernement souhaite simplement inscrire l’habilitation des agents de la DGCCRF pour contrôler l’application des mesures prévues par l’ordonnance n° 2018-1128 dans une disposition de nature législative, cette habilitation n’étant à ce jour présente que dans le décret n° 2019-308 du 11 avril 2019. Selon le rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi, une telle modification apparaît souhaitable dans une optique de clarification et de consolidation juridique.
Enfin, l’article 2, 5° du projet de loi habilite le Gouvernement à modifier les dispositions relatives à l’encadrement en volume des avantages promotionnels, notamment afin d’exclure de son champ d’application les produits dits « festifs » (le foie gras, les chocolats de Pâques et de Noël, le champagne…), lesquels présentent un caractère saisonnier très marqué. Cet encadrement est préjudiciable pour ces produits, dont l’écoulement en dehors des périodes festives est largement freiné. L’inadéquation de l’encadrement des promotions en volume à la spécificité de ces produits a entraîné la reprise des invendus par certains fournisseurs ou encore du gaspillage alimentaire. Ces difficultés de vente ont des conséquences financières particulièrement dommageables pour les entreprises et filières concernées, ce qui pourrait avoir comme résultat la réduction de la diversité de l’offre et de la concurrence dans ces secteurs. Ces difficultés sont d’autant plus mises en avant au regard du contexte actuel, où fournisseurs et distributeurs doivent faire face à des problématiques inédites afin d’assurer la continuité de l’approvisionnement et où les demandes des consommateurs ciblent une gamme de produits plus restreinte.
Les débats à l’Assemblée nationale se sont concentrés sur la durée de la prolongation des mesures relatives à la hausse du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions. En effet, il a été estimé que la durée de trente mois retenue par le Gouvernement était excessive. Bien qu’une durée de douze mois ait été proposée, in fine, un amendement de compromis a retenu une durée de dix-huit mois.
Le texte adopté par l’Assemblée nationale a ensuite été transmis au Sénat le 15 mai. Ce dernier a essentiellement repris l’article 44 du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dans la rédaction qu’il avait lui-même adopté le 5 mars.
Comme en mars dernier, le Sénat, qui s’est montré très critique, a supprimé l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance afin de prolonger l’expérimentation, reprochant au Gouvernement de vouloir pérenniser une expérimentation non encore évaluée. Le Sénat a également relevé que l’habilitation ne prévoyait pas précisément d’aménager substantiellement l’expérimentation, alors même que cela était attendu et demandé par les professionnels.
Au regard de ces constatations, les sénateurs ont déposé un amendement afin d’inscrire dans le texte même du projet de loi la prolongation du dispositif, plutôt que d’habiliter le Gouvernement à le faire. Ainsi, en vertu du nouvel article 2 bis A, les mesures issues de l’ordonnance n° 2018-1128 seront prolongées pour une durée maximale de quatorze mois :
Cette durée correspond à une année d’application de ces mesures sur les principaux contrats agricoles et est, selon les sénateurs, suffisamment longue pour apprécier les effets des mesures issues de l’ordonnance.
En outre, le Sénat a introduit expressément dans le projet de loi l’inapplicabilité des dispositions relatives à l’encadrement des avantages promotionnels en volume pour les produits à caractère saisonnier marqué, en se conformant ainsi à une préconisation faite par le groupe de suivi de la commission des affaires économiques de la loi Egalim. Ces produits seront précisés sur une liste restant à définir.
Ce projet, discuté en séance publique par le Sénat les 26 et 28 mai, sera transmis à la commission mixte paritaire, laquelle sera chargée de trouver un compromis entre les textes adoptés par l’Assemblée nationale et le Sénat.
[1] La procédure accélérée permet de réunir la commission mixte paritaire après une seule lecture par chaque assemblée. Celle-ci établit, à partir des points de convergence entre les assemblées, un texte commun, à nouveau soumis aux deux assemblées successivement.
Par :
Jean-Christophe GRALL Avocat à la Cour
Pierre SINQUIN Elève-avocat