Par un arrêt en date du 18 janvier 2017, la Cour d’appel de Paris confirme que le recours par un distributeur à une véritable procédure de mise en concurrence exclut le caractère établi de la relation commerciale quand bien même le partenaire qui se prétend victime d’une rupture brutale en violation des dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce a remporté plusieurs années de suite les appels d’offres précédents (I.).
En outre, la Cour d’appel considère que la preuve d’une modification des conditions commerciales en cours d’année ne peut être rapportée que par écrit et ce, en respect du formalisme de l’article L. 441-7 du Code de commerce (II.).
I. Le recours à une véritable procédure d’appel d’offres, connue et acceptée par le fournisseur évincé, exclut toute croyance légitime en la pérennité des relations commerciales, peu importe que le fournisseur ait été retenu lors des appels d’offres précédents.
En l’espèce, un grossiste en produits cosmétiques et accessoires de beauté (la société EMD) a assigné son distributeur (la société ITM) sur le fondement des dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce qui sanctionnent la rupture brutale de relations commerciales établies.
EMD s’estimait victime d’une telle rupture à la suite de sa non-sélection comme fournisseur pour Noël 2011 à l’issue d’une procédure d’appel d’offres.
Pour déduire le caractère stable et pérenne des relations commerciales nécessaire à l’activation des dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, le fournisseur faisait valoir qu’il avait été retenu par la centrale d’achat lors des appels d’offres mis en œuvre les années précédentes, ce qui se formalisait à travers la conclusion de contrats cadres annuels depuis 2007.
S’agissant du sort réservé à une société attributaire d’un marché durant une longue période et qui, à l’occasion du dernier appel d’offres, n’est pas retenue, la jurisprudence est fluctuante.
Dans un premier temps, la jurisprudence a considéré que le fournisseur retenu à plusieurs reprises lors d’appel d’offres pouvait légitimement croire à la poursuite de la relation commerciale à l’issue du dernier appel d’offres en date.
La Cour d’appel de Versailles avait ainsi jugé en 2012 que la société qui avait été retenue à trois reprises consécutives à l’issue de chacun des appels d’offres ayant précédé celui qu’elle avait perdu, pouvait avoir un espoir légitime dans la poursuite de la relation commerciale (CA Versailles, 26 juillet 2012, n°11/05276, Chronopost / Marseille Courses).
Dans le même sens, la Cour d’appel de Paris avait considéré que la société qui avait toujours été retenue pendant 7 ans « pouvait légitimement croire à la pérennité des relations commerciales en anticipant raisonnablement une certaine continuité du flux d’affaires dans l’avenir » (CA Paris, 19 décembre 2014, n°12/09151, Etam).
Cependant, la jurisprudence récente a pris ses distances avec cette solution, estimant que la circonstance que le partenaire évincé ait été retenu pendant plusieurs années après chaque appel d’offres n’est pas de nature à influer sur l’appréciation de la stabilité de la relation. Ainsi, par un arrêt du 7 octobre 2016, la Cour d’appel de Paris a jugé que la mise en concurrence régulière et systématique, préalable à chaque commande, affecte d’un aléa et rend ainsi précaire dès l’origine la relation, et ce même si le partenaire a remporté plusieurs années de suite les appels d’offres (CA Paris, 7 octobre 2016, n°13/19175, Sarl 5D Media c/ BAT).
L’arrêt du 18 janvier dernier confirme cette inclination des juges à dénier tout caractère établi aux relations commerciales ponctuées d’un recours systématique à de véritables appels d’offres.
Cet arrêt est ainsi l’occasion pour la Cour d’appel de définir la notion de relation établie de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :
« L’application de ce texte suppose tout d’abord la démonstration du caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d’affaires existant entre les parties pour laisser augurer la poursuite des relations commerciales. C’est à l’aune de ce test de la croyance légitime à la pérennité des relations du partenaire qui se prétend évincé qu’il convient d’apprécier si la relation était ou non « établie » au sens de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce. »
La Cour d’appel constate que le fournisseur n’était pas en mesure de justifier de cette « croyance légitime » en la poursuite des relations commerciales puisque celles-ci revêtaient un caractère précaire et leur poursuite était aléatoire en raison de la mise en concurrence annuelle par la centrale d’achat de ses fournisseurs potentiels.
Pour souligner la réalité de cette mise en concurrence annuelle des fournisseurs par la centrale d’achat, les juges détaillent les quatre phases de celle-ci :
1ère étape : la transmission par courriel aux fournisseurs des éléments à renseigner par ces derniers pour pouvoir soumissionner à l’appel d’offres (tableaux Excel détaillant les produits, leur prix ainsi que les mécaniques promotionnelles pouvant être mises en place à destination des consommateurs et « rétro-planning » de l’opération « Noël », indiquant la date des différents tours de sélection des fournisseurs) ;
2ème étape : l’envoi des soumissions dans les délais du rétro-planning ;
3ème étape : l’organisation de réunions avec les fournisseurs pour la présentation physique des produits à la centrale d’achat ;
4ème étape : la sélection finale des différentes offres à partir de critères portant sur les caractéristiques du produit proposé, les mécaniques promotionnelles et les conditions tarifaires.
Au regard de ce processus de sélection des fournisseurs que l’on peut considérer comme transparent et non-discriminatoire, la Cour d’appel juge que « cette mise en concurrence annuelle des fournisseurs exclut que la relation commerciale en cause soit qualifiée d’« établie », dès lors que la société EMD, qui soumissionnait en pleine connaissance de cause à ces appels d’offres, ne pouvait raisonnablement escompter que cette relation se poursuivrait nécessairement dans l’avenir, la circonstance qu’elle ait été sélectionnée dans le cadre d’appels d’offres pour les années précédentes étant indifférente ».
Les juges de la Cour d’appel prennent soin de préciser que ce n’est que de « façon surabondante » que la nature particulière des produits vendus par le grossiste exclut l’existence de relations commerciales établies entre les parties ; ce qui confirme que la simple existence d’une véritable procédure d’appel d’offres tout au long de la relation commerciale dénie tout caractère établi à celle-ci.
Il s’agissait en l’occurrence de parfums ou de palettes de maquillage pour enfants ou adolescents commercialisés sous des appellations empruntant à des programmes de télévision.
Selon la Cour d’appel, ce type de produit « ne se prête pas à la reconduction systématique et pérenne des achats auprès des fournisseurs. Ce sont des produits soumis à la mode éphémère ou au succès de tel ou tel programme télévisé auprès des adolescents. Les fournisseurs de ces produits dérivés sont donc appelés à renouveler constamment le contenu de leurs offres et leurs relations avec les distributeurs sont nécessairement précaires en raison de ces caractéristiques ».
Relevons également que la Cour d’appel balaie l’argumentation du fournisseur selon laquelle la conclusion annuelle des conventions-cadres témoignait de la pérennité des relations, « ces conventions étant rendues obligatoires par la loi et n’augurant en rien de la vente effective des produits ».
II. Pour prouver une modification en cours d’année des conditions financières fixées dans la convention récapitulative, seul l’écrit fait foi.
Outre les enseignements sur l’incidence des appels d’offres sur la croyance légitime en la pérennité des relations commerciales, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 18 janvier dernier fixe les contours des procédés admis au titre de la modification, en cours d’exécution de la convention unique ou du contrat-cadre, des conditions financières négociées initialement.
En l’espèce, la centrale d’achat réclamait de son fournisseur le paiement de factures de services de coopération commerciale non-réglées. EMD avait en effet contesté les conditions de la rémunération des services rendus par le distributeur et avait stoppé par la suite tout règlement.
Le grossiste soutenait que le montant des factures devait être réduit en se fondant sur un accord qui aurait été donné au téléphone par l’un des acheteurs de la centrale d’achat pour modifier les conditions de la rémunération des services convenue par écrit entre les parties.
Sur ce point, la Cour d’appel juge que « ces assertions ne sont étayées par aucun élément probant et sont contraires aux prescriptions de l’article L.441-7 du code de commerce, qui prévoit que les conditions commerciales sont écrites ainsi qu’à celles de l’article 4.6 de la convention d’affaires 2008 signée entre les parties prévoyant que « elle (la présente convention) ne peut faire l’objet d’une modification sans l’accord exprès, préalable et écrit des deux parties ». »
Le message délivré par les juges est clair et net : au-delà du respect des termes de l’accord conclu entre les parties, c’est bien la lettre de l’article L.441-7 du Code de commerce qui commande de fixer par écrit les éventuelles modifications à la convention annuelle. A défaut d’écrit, la preuve d’une révision des conditions négociées initialement est vouée à l’échec.
Après l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 1er juillet 2015 confirmé par la Cour de cassation le 26 janvier dernier dans l’affaire Galec qui a consacré la convention récapitulative de l’article L. 441-7 du Code de commerce comme véritable support de contrôle par l’Administration du déroulement des négociations commerciales, la Cour d’appel de Paris confirme ici que cette convention doit également permettre de retracer les renégociations ultérieures à sa conclusion.
En conséquence, il ne peut être que conseillé à la partie qui souhaiterait modifier le contenu de la convention récapitulative de proposer un avenant à son partenaire, ne serait-ce, a minima, que par un échange de courriers matérialisant leur accord de volontés.
Certes, la possibilité de modifier le document unique ou le contrat-cadre par le biais d’avenants ne fait l’objet d’aucune disposition légale. Toutefois, celle-ci n’est pas pour autant prohibée.
La circulaire du 8 décembre 2005 relative aux relations commerciales, dite « circulaire Dutreil » prévoyait la possibilité d’établir de tels avenants : le distributeur et le fournisseur peuvent modifier la convention récapitulative par le biais d’avenants en cours d’année, par exemple pour intégrer au contrat, la fourniture de nouveaux services.
Selon la CEPC, des avenants en cours d’année sont possibles, dès lors que l’équilibre commercial du contrat est préservé et ce, en vertu du droit commun des contrats. Elle précise que cette possibilité d’avenant ne constitue pas une renégociation totale du contrat, mais permet de tenir compte de la vie des affaires et de la réalité commerciale (Avis de la CEPC du 22/12/2008 n°08121907).
La CEPC considère ainsi que la modification par avenant de la convention récapitulative doit être justifiée par « un élément nouveau ou une condition particulière nouvelle et significative » (Avis de la CEPC du 16/09/2009 n°09091606).
La DGCCRF, dans sa note d’information du 22 octobre 2014 faisant suite à l’entrée en vigueur de la loi Hamon, a confirmé la position de la CEPC en précisant que « l’avenant a pour objectif d’adapter de façon mineure un contrat en fonction de l’évolution de la relation commerciale, sous réserve que deux conditions soient remplies : d’une part, que les parties aient prévu les formes ou modalités de révision des prix en cours d’année et d’autre part, que ces avenants ne remettent pas en cause l’économie générale du contrat. »
Rappelons néanmoins que de tels avenants, s’ils prévoient le bénéfice de remises, ristournes ou accords de coopération commerciale de manière rétroactive, sont considérés comme nuls au regard de l’article L. 442-6, II, a), du Code de commerce.