Au cours des années 1990, Waters, société française spécialisée dans la commercialisation et le développement d’instruments scientifiques, notamment d’analyse chromatographique, a souhaité développer l’activité de distribution de ses produits sur le territoire algérien. Waters a alors chargé la société algérienne Sodmilab pour ce faire à partir de 1997.
Au mois d’avril 2016, Waters a mis fin au dernier contrat conclu avec Sodmilab, lui accordant le préavis contractuel de 6 mois. Jugeant le préavis insuffisant, Sodmilab a assigné Waters devant le Tribunal de commerce de Paris en réparation de son préjudice découlant de la rupture sur le fondement du droit français.
Par application d’une clause attributive de compétence stipulée au profit du juge français, le Tribunal de commerce de Paris s’est reconnu compétent. En revanche, contestant l’application de la loi française aux demandes formulées par Sodmilab à l’égard de Waters, Waters a formé un incident devant le Tribunal de commerce de Paris estimant que seule la loi algérienne était applicable.
Par un jugement du 21 janvier 2019, le Tribunal de commerce de Paris a fait droit à la demande Waters en jugeant que la loi algérienne était applicable aux relations commerciales entre Sodmilab et Waters et ce, que le contrat soit qualifié d’agent commercial ou de distribution (le juge de l’incident n’ayant pas souhaité trancher l’exacte nature juridique des relations entre les parties).
Ce jugement est infirmé dans toutes ses dispositions par la Chambre commerciale internationale de la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 3 juin 2020.
Laissant le soin aux juges du fond de qualifier la nature exacte de la relation commerciale entre les parties (contrat d’agent commercial ou contrat de distribution voire contrat comportant les activités d’agent commercial et de distributeur, ce qui était d’ailleurs soutenu par Sodmilab), la Cour d’appel estime, dans tous les cas, que seule la loi française est applicable à la relation commerciale, qu’elle soit qualifiée de contrat d’agent commercial ou de contrat de distribution.
Dans le cas où le contrat conclu entre Sodmilab et Waters serait qualifié de « contrat d’agent commercial », c’est bien la loi française qui s’applique et non la loi algérienne …
Pour déterminer la loi applicable à un litige international entre un mandant et son intermédiaire de commerce, il convient d’appliquer la Convention de La Haye sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaires et à la représentation conclue le 14 mars 1978.
L’article 5 de la Convention énonce que « la loi interne choisie par les parties régit le rapport de représentation entre le représenté et l’intermédiaire. Le choix de cette loi doit être exprès ou résulter avec une certitude raisonnable des dispositions du contrat et des circonstances de la cause». Cela signifie que les parties peuvent choisir la loi qui régira leurs différends de façon expresse mais également tacitement si les éléments factuels démontrent que les parties ont entendu se soumettre à la loi d’un pays. Dans ce dernier cas, la jurisprudence se fonde sur différents critères de rattachement au pays en question.
En l’espèce, dans le dernier contrat conclu entre les parties, ces dernières n’avaient pas prévu expressément une clause de droit applicable. Faisant une application rigoureuse des principes de droit international privé, la Cour d’appel rappelle qu’à défaut de choix exprès des parties, la détermination de la loi applicable ne peut que résulter de l’existence des conditions prévues cumulativement par l’article 5 alinéa 2 de la Convention de La Haye, à savoir des dispositions du contrat et des circonstances de la cause. Le juge doit donc d’abord rechercher s’il est possible de déterminer la loi applicable en vertu de l’article 5, alinéa 2 (que le choix des parties soit exprès ou tacite). S’il n’y parvient pas, il doit alors s’en remettre, dans un second temps, au principe général de détermination posé par l’article 6 de ladite Convention. C’est cette exacte application des dispositions de la Convention de La Haye que la Cour d’appel a adoptée, infirmant alors la position prise par le Tribunal de commerce, en relevant :
- qu’il résultait des dispositions du dernier contrat conclu entre les parties qu’en cas de litige, les juridictions françaises seraient compétentes, manifestant la volonté des parties de soumettre tout différend dans l’exécution de leurs relations commerciales à l’ordre juridictionnel français ;
- qu’il résultait de plus des circonstances de la cause que si l’usage du français dans le contrat et les échanges n’est pas en soi significatif s’agissant de la langue de travail couramment utilisée dans le secteur économique en Algérie, « il constitue un indice qui peut être prise en compte et qui est en l’espèce corroboré par les circonstances que la France est le pays du lieu de signature et d’enregistrement des documents officiels désignant la société Sodmilab pour la représentation des produits Waters, le lieu du contrat formalisant leurs relations, ainsi que le lieu de provenance des produits et du règlement des commissions ».
En outre, la Cour d’appel relève qu’il ressort des pièces produites et notamment du contenu des deux accords conclus antérieurement à celui de 2010, que les prix étaient libellés en francs, que la société Sodmilab devait rendre compte périodiquement à la société Waters en France des visites commerciales effectuées en Algérie et que les devis étaient validés par la société Waters en France. Enfin, les conditions générales des ventes réalisées par l’intermédiaire de la société Sodmilab en Algérie pour le compte de la société Waters prévoyaient expressément que « les ventes conclues par Waters sont régies par la loi française », ce qui constitue un indice supplémentaire de rattachement du rapport contractuel en faveur du droit français.
En conséquence, dans le cas où le contrat serait qualifié d’agent commercial, la Cour d’appel considère qu’il résulte avec une certitude raisonnable des dispositions du contrat et des circonstances de la cause que les parties ont entendu soumettre leurs relations contractuelles à la loi française. |
Dans le cas où le contrat conclu entre Sodmilab et Waters serait qualifié de « contrat de distribution », c’est également la loi française qui est applicable et non la loi algérienne …
Sodmilab soutenait que le fait pour Waters d’avoir mis fin aux relations commerciales en lui accordant un préavis de seulement 6 mois était insuffisant au regard de l’ancienneté des relations commerciales (19 ans), Or, l’ex-article L.442-6, I, 5° du Code de commerce (art. L.442-2, II nouveau) interdit la rupture brutale de relation commerciales établies.
La jurisprudence récente rendue en droit international de la rupture brutale estime que l’action en rupture brutale ne relève plus de la matière délictuelle mais de la matière contractuelle. Cette précision d’importance conduit le juge à choisir l’instrument approprié de détermination de la loi applicable : « Rome I » (applicable aux obligations contractuelles) plutôt que « Rome II » (applicable aux obligations non contractuelles). En l’espèce, et qu’il soit fait application du Règlement « Rome I » ou « Rome II », la Cour d’appel estime que la loi française est applicable à l’exclusion de la loi algérienne.
En ce qui concerne le Règlement « Rome I », la Cour d’appel rappelle que selon l’article 3§1 du Règlement Rome I, « le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat ».
Ce n’est qu’à défaut de choix exercé conformément à l’article 3, que l’article 4 du Règlement prévoit que la loi applicable à un contrat de distribution est celle du distributeur. La Cour d’appel confirme alors la méthode de détermination de la loi applicable utilisée d’ailleurs dans son argumentation portant sur la Convention de La Haye : il convient en premier lieu de vérifier si les parties, expressément ou implicitement, ont désigné une loi pour régir leurs relations. Ce n’est qu’à défaut qu’il convient de faire application de l’article 4 du Règlement « Rome I » qui prévoit un principe général de détermination de la loi applicable au regard de différentes situations contractuelles.
En l’espèce, il est jugé que dans l’hypothèse d’un contrat de distribution en exécution duquel la société Sodmilab achetait directement pour son compte les produits à la société Waters, la loi française est la loi du contrat dès lors que les conditions générales de vente de la société Waters reproduites au verso des factures prévoient que « les ventes conclues par Waters sont régies par la loi française ». Cette constatation est corroborée par les circonstances évoquées plus haut s’agissant du contrat d’agent commercial par les pièces produites desquelles il est ressorti de manière suffisamment certaine que les parties ont entendu soumettre leurs relations à la loi française et à l’ordre juridictionnel français expressément désigné.
Là encore, la Cour d’appel confirme que le choix de la loi française résulte ainsi de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause.
En ce qui concerne le Règlement « Rome II », la Cour d’appel de Paris rappelle la règle de principe posée par l’article 4 dudit règlement qui prévoit que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
Toutefois, à côté de cette règle, la Cour d’appel précise avec pertinence que selon l’article 14§1 du règlement Rome II, « les parties peuvent choisir la loi applicable à l’obligation non contractuelle : (…) / b) lorsqu’elles exercent toutes une activité commerciale par un accord librement négocié avant la survenance du fait générateur du dommage / Ce choix est exprès ou résulte de façon certaine des circonstances et ne porte pas préjudice aux droits des tiers ». Or, au regard de l’argumentation mentionnée ci-avant, la Cour d’appel confirme qu’en vertu également de cette disposition, il résulte de façon certaine des circonstances de la cause que les parties ont entendu voir appliquer la loi française aux différends qui naitraient de leurs relations commerciales portés devant la juridiction française.
Dans le cas où le contrat serait qualifié de « distribution », l’application du Règlement « Rome I » mais également du « Rome II » conduisent, selon la Cour d’appel, à la patente application du droit français. |
Un autre apport de cet arrêt réside dans la prise de position de la Chambre commerciale internationale de la Cour d’appel à l’égard de la qualification de loi de police des dispositions sanctionnant la rupture brutale de relations commerciales établies en droit français. Sodmilab soutenait que dans tous les cas, la désignation de la loi française s’imposait du seul fait que l’article L.442-6, I, 5° ancien du Code de commerce constitue une loi de police dans l’ordre public international, s’imposant au juge français.
Cette question suscite de nombreux débats. Si la Cour de cassation n’a jamais pris position, de nombreuses décisions rendues par des cours d’appel ont retenu la qualification de « loi de police », notamment dans un arrêt du 9 janvier 2019 rendu par la Cour d’appel de Paris (Chambre 5, Pôle 4). Néanmoins, un peu plus d’un mois après, la Cour d’appel de Paris (Chambre 5, Pôle 4) jugeait en sens inverse.
Sur ce point et sans remettre en cause l’application de la loi française en l’espèce, la Cour d’appel considère, au regard de la définition de « loi de police » donnée par l’article 9 du Règlement « Rome I », que si les dispositions françaises sanctionnant la rupture brutale de relations commerciales établies, qui impliquent qu’une entreprise installée en France ne cause pas de dommage en rompant brutalement une relation commerciale établie, contribuent à la moralisation de la vie des affaires et sont susceptibles également de contribuer au meilleur fonctionnement de la concurrence, « elles visent davantage à la sauvegarde les intérêts privés d’une partie, de sorte qu’elles ne peuvent être regardées comme cruciales pour la sauvegarde de l’organisation économique du pays au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application ». Dès lors, ces dispositions ne constituent pas une loi de police au sens de l’article 9 du règlement Rome I.
Cette décision est intéressante pour plusieurs raisons :
- Tout d’abord, c’est le Chambre commerciale internationale (nouvellement créée) de la Cour d’appel de Paris qui s’est positionnée. Il s’agit d’une formation de juges aguerris au droit international privé de sorte que cette décision a un poids important ;
- La Cour d’appel juge que c’est la loi française qui est applicable au regard de dispositions internationales qui permettent de désigner la loi au regard des circonstances de la cause (volonté tacite des parties), ce qui est rare (les juges étant stricts en la matière). Par ailleurs, le raisonnement pédagogique de la Cour d’appel permet de rappeler les étapes auxquelles les juges doivent satisfaire pour désigner la loi applicable à une relation commerciale donnée : partir d’abord de la volonté des parties (clause de droit applicable expresse ou tacite) avant d’envisager les principes généraux.
- Cette formation tranche enfin la question de la loi de police qui a fait couler beaucoup d’encre au sein de la Cour d’appel en matière de rupture brutale. A ce jour, la qualification de loi de police ne devrait plus prospérer même si, en l’espèce, la société Sodmilab, qui revendiquait le bénéfice de cette loi de police, était située en Algérie. Une solution différente aurait-elle été rendue si une société française et non étrangère avait invoqué cette argumentation ?