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Arrêts du 24 septembre 2024 de la Chambre criminelle de la Cour de cassation et du 26 septembre 2024 de la Cour de Justice de l’Union Européenne : une protection divergente du secret professionnel attaché aux correspondances avocat-client

La Chambre criminelle de la Cour de cassation et la Cour de Justice de l’Union Européenne ont rendu deux arrêts, respectivement le 24 septembre et le 26 septembre dernier, relatifs à la délimitation de la protection du secret professionnel des correspondances entre un avocat et son client. La portée de la décision rendue par la juridiction européenne remet-elle en cause la position divergente de la juridiction française ; nous répondons, pour notre part, positivement.  

  1. L’approche restrictive du secret professionnel par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, limitée aux seules correspondances avocat-client relatives à l’exercice des droits de la défense

Le 24 septembre dernier, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt relatif à l’étendue de la protection dont bénéficient les correspondances entre un avocat et son client[1].

Les faits sont les suivants : le 21 juin 2021, après avoir été autorisées par le juge des libertés et de la détention, des opérations de visite et saisie (« OVS ») ont été pratiquées par la DREETS de Nouvelle-Aquitaine dans les locaux d’une société. Deux procès-verbaux de saisie ont ensuite été établis par la DREETS (un premier pour les documents papiers et un second pour les fichiers numériques). Des échanges entre un avocat et la société visitée faisaient partie des éléments saisis.

A la suite de ces OVS, la société a contesté le déroulement de ces opérations. Cependant, par un arrêt du 20 septembre 2022, la Cour d’appel de Versailles n’a pas fait droit à la demande d’annulation des OVS, ce qui a conduit la société à former un pourvoi en cassation. Parmi les différents moyens exposés, la société reprochait à la Cour d’appel de ne pas notamment avoir tenu compte des éléments suivants :

  • les travaux de conseil de l’avocat et les correspondances échangées entre l’avocat et son client sont couverts par le secret professionnel, conformément à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, et sont donc insaisissables ; et
  • la saisie des pièces relevant de la protection du secret professionnel entre un avocat et son client doit être annulée, dès lors que la société avait suffisamment identifié et produit tous les éléments qu’elle estimait couverts par le secret professionnel et qu’elle avait sollicité du juge saisi qu’il effectue un contrôle pour écarter ces pièces, quand bien même devait-il opérer un tri plus sélectif que celui demandé.

La réponse apportée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation est on ne peut plus explicite sur l’étendue de la protection conférée au regard du secret professionnel. Si la Chambre criminelle reconnait, en tant que principe et conformément à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, que les documents et correspondances entre un avocat et son client sont, en toutes matières, couverts par le secret professionnel, ces documents et correspondances « peuvent notamment être saisis dans le cadre des opérations de visite et saisie prévues par l’article L.450-4 du Code de commerce dès lors qu’ils ne relèvent pas de l’exercice des droits de la défense » ! [nous soulignons]

C’est un comble !

Concernant le second moyen de cassation invoqué, la Cour de cassation rappelle qu’il appartenait à la société d’identifier parmi les fichiers saisis ceux qui relevaient de l’exercice des droits de la défense, ce qu’elle n’a pas fait, empêchant ainsi le juge d’exercer son contrôle.

La limite de la protection du secret professionnel issue de l’arrêt précité reprend une jurisprudence certes constante de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en matière d’OVS (Cass. crim. 25 novembre 2020, n° 19-84.304 et Cass. crim. 24 avril 2013, n° 12-80.331 ) mais qui est, selon nous, hautement contestable.

Si cet arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation limite expressément le champ d’application du secret professionnel aux correspondances avocat-client relatives à l’exercice des seuls droits de la défense de l’entreprise concernée, cet arrêt nous apparaît pour le moins surprenant au regard d’un autre arrêt rendu cette fois par la Cour de Justice de l’Union Européenne deux jours après…
  • L’importance de la protection du secret professionnel, dont bénéficie toute consultation juridique d’un avocat, a été pleinement reconnue par la Cour de Justice de l’Union Européenne

Le 26 septembre 2024, la CJUE a dû répondre à plusieurs questions préjudicielles. Celles-ci ont été posées dans le cadre d’un litige opposant des avocats luxembourgeois à l’administration des contributions directes du Luxembourg [2].

Dans le cadre de l’acquisition par une société espagnole d’une entreprise et d’une prise de participation majoritaire dans une autre société, un cabinet d’avocats luxembourgeois a fourni différents services à la société espagnole. A la suite d’une demande de renseignements fondée sur la directive 2011/16 émanant des autorités fiscales espagnoles, le 28 juin 2022, l’administration des contributions directes du Luxembourg a fait injonction aux avocats de fournir des renseignements et documents relatifs aux services fournis. Le cabinet d’avocats n’a pas donné suite à cette décision d’injonction, en rappelant à l’administration « avoir agi en tant qu’avocat conseil du groupe auquel K appartient et être, de ce fait et en raison du secret professionnel qui s’impose à elle, dans l’impossibilité de communiquer des informations concernant son client »[3].

Le 19 août 2022, l’administration luxembourgeoise a adressé une nouvelle injonction à ces avocats de lui fournir les documents et pièces demandés. Du fait de l’absence de communication des documents et renseignements demandés, l’administration lui a infligé une amende.

Le cabinet d’avocats a alors introduit un recours devant le Tribunal administratif de Luxembourg afin que soit réformée la décision de l’administration prononçant l’amende et que soit annulée la seconde décision d’injonction. La juridiction de premier degré ayant rejeté le recours en annulation, le cabinet d’avocats a interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel. Si cette dernière a jugé que le recours en annulation était recevable, elle a considéré que, afin de se prononcer et de pouvoir trancher le litige, il était nécessaire que la CJUE apporte plusieurs clarifications afin de lui « permettre d’apprécier la conformité de l’injonction litigieuse au droit de l’Union »[4].

Parmi les questions préjudicielles posées à la CJUE, l’une d’elles était de savoir si « une consultation juridique d’un avocat en matière de droit des sociétés – en l’espèce en vue de la mise en place d’une structure sociétaire d’investissement – rentre dans le champ de la protection renforcée des échanges entre les avocats et leurs clients accordée par l’article 7 de la [Charte] ? »[5].

La réponse de la Cour de Justice de l’Union Européenne est claire : « une consultation juridique d’avocat bénéficie, quel que soit le domaine du droit sur lequel elle porte, de la protection renforcée garantie par l’article 7 de la Charte aux communications entre un avocat et son client. Il en découle qu’une décision d’injonction telle que celle en cause au principal constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client garanti à cet article. »[6]. [nous soulignons]

Les juges ont en effet considéré que « l’article 7 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’une consultation juridique d’avocat en matière de droit des sociétés entre dans le champ de la protection renforcée des échanges entre un avocat et son client, garantie par cet article, si bien qu’une décision enjoignant à un avocat de fournir à l’administration d’un Etat membre requis, aux fins d’un échange d’informations sur demande prévu par la directive 2011/16, l’ensemble de la documentation et des informations relatives à ses relations avec son client (…) constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client, garanti par ledit article. »[7].

Un raisonnement analogue peut légitimement être retenu concernant des OVS en droit de la concurrence et les saisies massives indifférenciées de documents papiers et surtout de fichiers numériques qui en découlent.

De surcroît, les juges ont expressément précisé que ledit article 7 et l’article 52 § 1 de la Charte des droits fondamentaux doivent être interprétés en ce qu’ils s’opposent à une injonction « fondée sur une réglementation nationale en vertu de laquelle le conseil et la représentation par un avocat dans le domaine fiscal ne bénéficient pas, sauf en cas de risque de poursuites pénales pour le client, de la protection renforcée des communications entre un avocat et son client, garantie par cet article 7. »[8].

Ainsi, en totale opposition avec celle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, la position des juges de la CJUE est claire : toutes les correspondances entre un avocat et son client doivent bénéficier de la protection issue de l’article 7 de la Charte, en ce compris naturellement les consultations juridiques des avocats quand bien même elles ne s’inscriraient pas parfaitement dans le cadre réducteur et particulièrement non justifié de l’exercice des droits de la défense ! Cette position est donc pleinement applicable aux OVS réalisées par l’ADLC et ce, nonobstant la position contra legem adoptée par la Cour de cassation telle qu’elle a été réaffirmée dans l’arrêt rendu le 24 septembre 2024, deux jours avant l’arrêt précité de la CJUE !

Surtout, cette position de la CJUE n’est pas nouvelle et a déjà été rappelée dans un arrêt rendu par la CJUE le 8 décembre 2022 en matière fiscale déjà, où les juges ont reconnu que « l’article 8, paragraphe 1 de la CEDH protège la confidentialité de toute correspondance entre individus et accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients (…). A l’instar de cette disposition, dont la protection recouvre non seulement l’activité de défense, mais également la consultation juridique, l’article 7 de la Charte garantit nécessairement le secret de cette consultation juridique, et ce tant à l’égard de son contenu que de son existence. »[9].

Elle se justifie au regard d’un principe posé depuis longtemps par la jurisprudence européenne, notamment dans l’affaire Akzo dans laquelle le Tribunal précisait que : « la confidentialité des communications entre avocats et clients répond à l’exigence que tout justifiable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même comporte la tâche de donner de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin. » [10].

Et selon l’arrêt du 26 septembre dernier de la CJUE, ce principe résulte du fait que « les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables. » [11].

  • L’approche restrictive et applicable du « legal privilege » telle que retenue par la Cour de cassation le 24 septembre 2024 nous apparaît ainsi contra legem et aller à rebours de la solution retenue à juste raison par la CJUE et ce, d’autant plus que les arrêts préjudiciels qui ont pour objet d’interpréter le droit européen ont autorité de la chose interprétée à l’égard des juridictions des Etats-membres, les solutions dégagées par ces arrêts devant être appliquées par toutes les juridictions nationales saisies d’un litige conduisant à l’interprétation de la même norme de droit européen, quand bien même la juridiction nationale devrait aller à l’encontre d’une jurisprudence établie en droit interne[12].

Nous ajouterons à ce qui précède que le 5 février dernier, la Cour d’appel de Paris a rejeté la demande de transmission à la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (« QPC »), formulée à la suite d’opérations de visite et saisie réalisées les 16 et 17 novembre 2023 par l’ADLC au sein de plusieurs entreprises du secteur de la charcuterie salaisonnerie[13].

La QPC formulée visait à contester la saisie par l’ADLC de plusieurs documents couverts par le secret professionnel, placés sous scellés fermés provisoires puis conservés par l’Autorité à l’issue de la séance d’ouverture des scellés, alors que ces documents avaient été identifiés comme couverts par le secret professionnel. Par ailleurs, les requérantes soulignaient qu’en l’absence de recours spécifique et suspensif visant ces documents, le secret professionnel aurait été irrémédiablement violé. En ce sens, les requérantes ont formulé la QPC suivante :

«Les dispositions :

– de l’article L.450-4 du code de commerce, dans sa version en vigueur depuis le 28 mai 2021

– ainsi que l’interprétation constante qu’en retient la Cour de cassation selon laquelle le juge des libertés et de la détention ne peut pas être saisi directement par l’occupant des lieux (Cass. Crim. 9 mars 2016, pourvoi n°14-84.566) et n’a pas à se prononcer sur le caractère saisissable des documents soumis au secret professionnel (Cass. Crim. 20 janvier 2021, n°19-84.292) – ;

– et de l’article 56-1-1 du code de procédure pénale, dans leur version en vigueur depuis le 1er mars 2022 – ainsi que l’interprétation constante qu’en retient la Cour de cassation selon laquelle ces dispositions ne sont pas applicables aux opérations de visite et de saisie autorisées en application de l’article L.450-4 du code de commerce (Cass. Crim. 24 sept. 2024, pourvoi n°23-84.244) -,méconnaissent-elles les droits et libertés que la Constitution garantit, en portant notamment – par elles-mêmes ou par l’effet d’une incompétence négative, faute de garanties et de recours préventif suffisants permettant de faire obstacle à la saisie, au cours d’opérations de visite et de saisie diligentées sur le fondement de l’article L.450-4 du code de commerce, de documents couverts par le secret professionnel des avocats de la défense et du conseil -, une atteinte disproportionnée aux droits de la défense, au droit à la vie privée, au secret des correspondances et au principe d’égalité devant la loi ? ».

La Cour d’appel de Paris rappelle tout d’abord que « le régime des opérations de visite et de saisie obéit à un régime distinct de celui des perquisitions pénales, l’article L.450-4 du code de commerce ne renvoyant à l’article 56-1 du code de procédure pénale que pour la seule réalisation des inventaires et des scellés. ». Ainsi, selon la Cour d’appel, il n’est pas établi de lien entre le litige ou la procédure concurrence et l’article 56-1 du code de procédure pénale.

Ensuite, la Cour d’appel souligne que « si, selon les principes rappelés par l’article 66-5 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, les documents et les correspondances échangés entre le client et son avocat, sont, en toutes matières, couverts par le secret professionnel, il demeure qu’ils peuvent notamment être saisis dans le cadre des opérations de visite prévues par l’article L.450-4 du code de commerce dès lors qu’ils ne relèvent pas de l’exercice des droits de la défense. », ce qui est des plus contestable !

Enfin, la Cour d’appel de Paris considère que l’article L.450-4 du Code de commerce présente des garanties suffisantes caractérisées par le contrôle effectif du juge des libertés et de la détention « de la nécessité de la visite domiciliaire, de ses pouvoirs de règlement des éventuels incidents durant les opérations de visite et de saisie et enfin par le droit d’appel et de recours devant le premier président disposant du pouvoir d’annuler la saisie de correspondances avocat/client relevant de l’exercice des droits de la défense, cette annulation emportant interdiction pour l’autorité de la concurrence de faire usage de ces pièces. ».

Sur la base de ces derniers éléments, la Cour d’appel de Paris considère que la QPC est dépourvue de caractère sérieux et rejette dès lors la transmission de ladite question à la Cour de cassation. Cette récente décision illustre ainsi l’opposition flagrante et récurrente existant entre les juges français et leurs collègues de Luxembourg.

Malheureusement au vu de cette dernière décision de la Cour d’appel de Paris, nous avons peu d’espoir que les prochains dossiers ne s’éloignent de la position adoptée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation et ce, en dépit de l’approche retenue par la CJUE dans son arrêt du 26 septembre 2024 qui a considéré que les correspondances entre un avocat et son client, qu’elles relèvent de l’exercice des droits de la défense ou du conseil, sont protégées par le secret professionnel !

[1] Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 24 septembre 2024, n° 23-84.244

[2] Cour de Justice de l’Union Européenne, arrêt du 26 septembre 2024, n° C-432/23

[3] Ibid., § 24

[4] Ibid., § 34

[5] Ibid., § 41

[6] Ibid., § 51

[7] Ibid., § 52

[8] Ibid., § 65

[9] Cour de Justice de l’Union Européenne, arrêt du 8 décembre 2022, n° C-694/20, § 27

[10] Cour de justice de l’Union européenne, arrêt du 17 septembre 2007, affaires jointes n° T-125/03 et T-253/03 §121

[11] Cour de Justice de l’Union Européenne, arrêt du 26 septembre 2024, n° C-432/23, §50

[12] CJUE, ord., 17 juill. 2023, aff. C-55/23, Jurtukała, §37

[13] Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 15, Ordonnance du 5 février 2025, 24/16536 (QPC)

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