Par un arrêt rendu le 26 mars 2021, la Cour d’appel de Paris a jugé que la pandémie de Covid-19 était constitutive d’un cas de force majeure, autorisant l’auteur de la rupture à résilier le contrat sans accorder à son partenaire un préavis et ce, sans qu’il ne lui soit reproché un manquement aux dispositions de l’article L.442-1, II du Code de commerce.
En l’espèce, le litige opposait une société spécialisée dans le nettoyage des avions à l’un de ses sous-traitants à qui elle avait confié, à partir de 2005, le nettoyage et l’armement (prestation consistant à équiper ou remplir l’intérieur de l’avion en plateaux repas et autres matériels de bords) d’une partie des avions long-courriers de la société Air France en escale à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle.
Le 17 mars 2020, date du premier confinement pris par les pouvoirs publics en France, la société de nettoyage avait alors notifié à son sous-traitant la suspension du contrat pour une durée indéterminée, en raison de la chute du trafic aérien résultant de la pandémie. Puis, le 8 juin 2020, la société de nettoyage a finalement notifié à son partenaire la résiliation du contrat de sous-traitance à effet au 30 septembre 2020, lui accordant alors un préavis de presque 4 mois.
S’estimant notamment victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies (15 ans de relations), le sous-traitant a agi en référé en considérant que le préavis qui lui avait été accordé était insuffisant. N’ayant obtenu que partiellement gain de cause, le partenaire éconduit a interjeté appel de l’ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris.
La société de nettoyage soutenait qu’elle avait accordé à son sous-traitant le préavis contractuel et qu’en tout état de cause, elle aurait été légitime à mettre un terme immédiatement et sans préavis au contrat compte tenu du cas de force majeure que constituait le Covid-19. Elle rappelait d’ailleurs et à raison que l’article L.442-1, II du Code de commerce autorisait la rupture sans préavis en cas de force majeure.
La Cour d’appel a fait droit à cette argumentation en relevant que :
- La société de nettoyage a vu chuter son activité dans des proportions sans précédent, en raison de la crise sanitaire, qui a conduit, dans un premier temps, en mars 2020, à un confinement généralisé de la population puis, dans un second temps, à des mesures de restriction des déplacements. Dans ce contexte, « le secteur de l’aviation a été l’un des plus sévèrement touchés, des mesures drastiques de restriction des déplacements transfrontaliers ayant été prises dans le monde entier ». La chute du trafic de passagers à Roissy-Charles-de-Gaulle s’est élevée à 66,8% en 2020 par rapport à 2019.
- Ont particulièrement été concernés les vols long-courriers, seuls vols traités par le sous-traitant. Selon les chiffres publiés par Air France au 3ème trimestre 2020, le nombre de passagers sur les long-courriers a chuté de 84% par rapport au 3ème trimestre 2019.
Pour la Cour d’appel, ces circonstances relèvent de la force majeure prévue à l’article L. 442-1, II du Code de commerce, autorisant la résiliation du contrat sans préavis.
Les juges de second degré auraient pu en rester là. Pourtant, ils sont allés plus loin dans leur analyse en notant, en l’espèce que « le contrat liant les parties prévoyait expressément une clause de force majeure, aux termes de laquelle étaient visées les ‘épidémies entraînant la suppression partielle ou totale de l’activité sur la plateforme aéroportuaire’, le caractère de force majeure devant être reconnu à ces événements’ même s’ils ne revêtent pas les caractères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité’. » et, qu’en conséquence, la pandémie de Covid-19 relevait à l’évidence de cette clause, ce qui autorisait donc, en droit civil pur, la résiliation du contrat.
Si la société de nettoyage avait dans un premier temps invoqué la clause de force majeure pour rompre le contrat, elle s’était par la suite fondée sur une autre prérogative contractuelle prévoyant une procédure de résiliation du contrat avec un préavis de trois mois « en cas de baisse de l’activité de plus de 10% sur une période de 30 jours consécutifs ». Le sous-traitant reprochait à son partenaire la contradiction dans les motifs de la rupture (force majeure ou simple baisse d’activité). La Cour d’appel n’y voit pas d’incohérence et souligne que la procédure de résiliation avait été correctement respectée par la société de nettoyage (accordant dans les faits 4 mois de préavis au sous-traitant au lieu des 3 mois prévus) et qu’au-delà de la force majeure, « en cas de difficultés économiques avérées ou de crise du secteur économique en cause, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée sur le fondement de l’article L.442-1, II, du Code de commerce, celle-ci ne lui étant pas imputable ». La Cour d’appel fait alors ici expressément référence aux affaires « Guift concept » et « Dorsey » qu’elle mentionne dans son arrêt (Com., 8 novembre 2017, n° 16-15.285 ; Com., 6 février 2019, n° 17-23.361).
Sans doute s’agit-il d’un message de la Cour d’appel pour les décisions à venir, qui malheureusement auront vocation à se multiplier, et par lequel elle affirme que même dans les cas où le Covid-19 ne pourrait être considéré comme un cas de force majeure, il s’impose à tout le moins comme une crise telle qu’il peut justifier une rupture « brutale » des relations commerciales, sans heurter les dispositions de l’article L.442-1, II du Code de commerce.
La Cour en conclut donc que « la résiliation du contrat est intervenue en application des dispositions contractuelles, avec respect d’un préavis et, surtout, qu’elle est imputable à la force majeure ou, à tout le moins, à la crise du secteur de l’aviation liée à l’épidémie de Covid 19, non à la société [de nettoyage] ».
A notre connaissance, il s’agit de la première position prise par les juges à ce sujet en matière de rupture brutale de relations commerciales établies.