Les décisions de sanctions par les Autorités européennes de concurrence des organisations professionnelles de quelque nature qu’elles soient sont parfaitement connues et nous ne les reprendrons pas dans cette Note d’actualité naturellement.
Pourquoi une telle étude alors même que des études thématiques consacrées aux organisations professionnelles existent déjà ; la raison en est simple, c’est qu’une modification majeure va intervenir dans les prochains mois au titre de la transposition de la Directive n° 2019/1 dite « ECN+ » qui va supprimer le plafond bien connu en droit français en cas de sanction d’une organisation professionnelle et qui limite celle-ci à trois millions d’euros de manière forfaitaire dès lors que les organisations professionnelles ne disposent pas d’un chiffre d’affaires comme une entreprise commerciale.
Désormais avec la Directives ECN+, les sanctions vont être en quelque sorte déplafonnées puisque les organismes professionnels vont s’exposer, en cas d’infraction aux règles de concurrence, à des sanctions particulièrement lourdes puisque pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaires mondial cumulé de chacun de ses membres, ce qui représente en théorie, nous disons bien en théorie, des sanctions non seulement dissuasives, mais totalement aberrantes en fin de compte et qu’un syndicat professionnel, un ordre professionnel, une confédération ne pourrait certainement pas verser aux autorités publiques et ce, quelle que soit la gravité de l’infraction qui aurait été commise.
La Présidente de l’Autorité de la concurrence n’hésite pas d’ailleurs à parler de « révolution copernicienne » lorsqu’elle évoque les risques financiers pour les organisations professionnelles car tel sera bien le cas demain !
Dès lors, au regard de l’importance des sanctions susceptibles d’être prononcées à l’encontre des organisations professionnelles, mais également et naturellement également à l’encontre des membres de ces fédérations qui se seraient disons-le, entendues sur des taux de marge, des augmentations tarifaires, les dates de ces augmentations, qui auraient décidé de se répartir des marchés, des clients, qui auraient boycotté tel ou tel fournisseur, prestataire, qui pourraient s’être également concertées sur des aspects environnementaux, etc., il est essentiel que les organisations professionnelles et les permanents de ces dernières, et tout autant les membres de celles-ci, sachent pertinemment quelles sont leurs marges de manœuvre et quelles sont les limites, en droit de la concurrence, à ne pas franchir, sauf à s’exposer à des sanctions qui seront demain potentiellement vertigineuses. Les fondements juridiques qui permettent aux Autorités de concurrence de sanctionner les organisations professionnelles ainsi que leurs membres sont bien connus, il s’agit des dispositions visées sous l’article 101 paragraphe 1 du TFUE et de l’article 420-1 du code de commerce qui prohibent de manière générale toute forme d’accords ou de pratiques concertées mises en œuvre par des entreprises indépendantes, mais également toutes décisions d’associations d’entreprises intervenant entre entreprises qui sont regroupées dans le cadre d’une même organisation fédérative.
Et à ce titre, le fait que les organisations professionnelles ne constituent pas en elles-mêmes une entreprise et que leurs membres puissent à titre d’exemple exercer une activité réglementée, est sans incidence sur cette qualité d’associations d’entreprises.
Il peut également s’agir d’associations d’entreprises qui incluent elles-mêmes des associations d’entreprises.
Conclusion : alors que le droit de la concurrence s’applique principalement aux « entreprises », conçues comme des entités formant des unités économiques sur le marché, il peut néanmoins s’appliquer également aux pratiques des organismes professionnels, indépendamment de la nature collective de leurs décisions. Ce champ d’application s’explique et se justifie par la recherche d’efficacité : si les organismes professionnels échappaient aux règles de concurrence, il en résulterait un « angle mort » d’autant plus dommageable que l’activité de ces organismes, par nature, présente des risques particuliers dès lors qu’elle nécessite des échanges et des actions communes entre concurrents. Il convient cependant de préciser les conditions exactes de qualification des principales pratiques susceptibles d’être commises.
L’Autorité de la concurrence donne ensuite à titre pédagogique un certain nombre d’exemples d’échanges d’informations au sein d’organisations professionnelles fondamentalement sur :
- la fixation de prix en commun ;
- les concertations lors de réponses à des appels d’offres et ce, notamment par la soumission d’offres de couverture,
- la limitation de la production, en fixant des quotas de production ou de vente,
- et la répartition de marchés ou de clientèle.
Les exemples donnés qui ne seront pas repris dans le cadre de la présente note d’actualité qui se veut constituer un simple « warning » sur la dangerosité de certains comportements sont naturellement à prendre en considération ; et le fait que l’on mette en avant ce que l’on dénomme des cartels dits de crise ne peut pas constituer un sauf-conduit en droit de la concurrence :
Exemple de cartels dits « de crise » : dans l’affaire du transport par messagerie express[1], l’Autorité n’a pas estimé admissible l’argument soulevé par le syndicat mis en cause selon lequel les entreprises s’entendaient sur les prix en raison des difficultés du secteur. En effet, au lieu de chercher à réduire les surcapacités – problème structurel du secteur – les entreprises s’entendaient sur des hausses tarifaires à faire passer à leurs clients. Ces pratiques sont inefficaces d’un point de vue économique et génèrent des surcoûts au seul détriment des consommateurs.
De même en matière de diffusion d’indicateurs dont on parle beaucoup aujourd’hui et relevant du secteur agricole au travers de la loi Egalim du 30 octobre 2018 et des dispositions figurant sous les articles L. 631-24 et L. 631-24-1 du code rural et de la pêche maritime, et de l’article 443-4 du code de commerce, attention également car le secteur agricole n’est pas exempté de l’application du droit de la concurrence, l’Autorité rappelant à cet égard l’excellent avis qu’elle a rendu le 3 mai 2018 (cf. avis n° 18-A-04), l’Autorité rappelant ce qui suit notamment :
En premier lieu, l’Autorité a indiqué que les organisations interprofessionnelles doivent être particulièrement vigilantes lorsqu’elles élaborent un indicateur destiné à leurs membres car une telle activité implique nécessairement des échanges d’informations au sein de l’organisation. À cet égard, l’Autorité a précisé que les organisations interprofessionnelles peuvent diffuser des informations en matière de coûts ou de prix sous forme de mercuriales ou d’indices si les données statistiques en cause sont passées, anonymes et suffisamment agrégées.
En second lieu, l’Autorité a rappelé que « la diffusion d’indicateurs et d’indices par les OI ne doit pas aboutir à un accord collectif sur les niveaux de prix pratiqués par des opérateurs concurrents ni à une uniformisation des prix ». En ce sens, elle est venue préciser que « pour ne pas générer de risque au regard des règles de concurrence, la diffusion d’indicateurs par l’OI reconnue – que ces indicateurs émanent d’organismes publics ou soient construits par elle – ne doit en aucun cas être assimilable à une forme de recommandation de prix. L’élaboration et la diffusion d’indicateurs ou d’indices ne sont compatibles avec le droit de la concurrence national et européen, que si elles ne conduisent pas à une application pure et simple de recommandations émises par l’interprofession. Chaque opérateur économique doit ainsi être libre d’individualiser des prix compte tenu de ses charges, de ses coûts divers à partir d’informations relatives au passé et en utilisant, le cas échéant, des indicateurs de tendance, dès lors qu’ils ne présentent aucun caractère normatif émis par l’interprofession. Il ne revient donc pas à une OI d’inciter les acteurs d’une filière déterminée, appelés à contracter entre eux, à appliquer purement et simplement les recommandations de l’interprofession, que ce soit du point de vue des prix de départ ou des indicateurs de tendance ».
Un point également qui mérite attention est celui des négociations collectives, l’Autorité rappelant à cet égard son avis n° 19-A-13 du 11 juillet 2019 relatif aux effets sur la concurrence de l’extension des accords de branche et l’arrêt du 21 septembre 1999 de la CJUE dans l’affaire Albany, dans laquelle la Cour a considéré que les objectifs de politique sociale, poursuivis par de tels accords de branche, seraient sérieusement compromis si les partenaires sociaux étaient soumis à l’article 101 paragraphe 1 du TFUE. Pour autant attention, une telle exclusion du champ d’application des règles de concurrence des négociations collectives est néanmoins strictement appréciée et certaines conditions doivent être remplies à cet égard.
En conclusion, s’agissant des pratiques prohibées par le droit de la concurrence, l’Autorité rappelle ce qui suit :
Un organisme professionnel doit rester dans sa mission de défense, d’information et de conseil de ses adhérents. Il commet une infraction lorsqu’il adopte un comportement susceptible de perturber le fonctionnement concurrentiel normal du marché sur lequel ses membres interviennent. Toute forme de stratégie anticoncurrentielle est susceptible d’être appréhendée par l’Autorité, que ce soit sur le fondement du droit des ententes ou des abus de position dominante. Ces qualifications n’excluent pas un examen des gains d’efficience sous l’angle de l’exemption.
L’Autorité termine son étude en envisageant d’éventuelles exemptions au titre de l’article L. 420-4-I du code de commerce et de l’article 101 paragraphe 3 du TFUE, mettant en avant le caractère très restrictif de telles exemptions qui permettraient de légitimer certaines entorses au droit de la concurrence, l’Autorité citant notamment l’une des rares exemptions accordées, à savoir celle dont a bénéficié l’Union Française des orthoprothésistes dans sa décision n° 07-D-05 du 21 février 2007.
Un dernier point est enfin consacré aux sanctions susceptibles d’être prononcées à l’encontre des organisations professionnelles et de leurs membres, avec désormais un déplafonnement de ces sanctions tel que nous le connaissions en droit français depuis plusieurs dizaines d’années à présent (cf. article L. 464-2-I du code de commerce qui forfaitise l’amende à due concurrence de trois millions d’euros lorsque le contrevenant n’est pas une entreprise). Demain, le déplafonnement des sanctions pourra donc permettre aux Autorités de concurrence dans le cadre de la transposition de la Directive ECN+ du 11 décembre 2019 d’appliquer un tout nouveau barème de sanctions pouvant atteindre plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’euros puisqu’il s’agira de prendre en compte un plafond maximum de 10% de la somme du chiffre d’affaires mondial total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction, ce qui pourra bien entendu donner des ailes aux Autorités de concurrence.
Bien entendu, aucune organisation professionnelle ne pourra s’acquitter de sanctions d’une telle importance, mais les Autorités européennes de concurrence n’ont pas oublié la possibilité pour une fédération professionnelle, à titre d’exemple de faire un appel à contribution de la part de ses membres ; et c’est justement ce qui est prévu dès lors que lorsque l’amende qui sera prononcée à l’encontre d’une organisation professionnelle ne pourra pas être payée par celle-ci, les membres pourront alors être appelés à contribuer au paiement de cette amende puisque l’Autorité de concurrence pourra enjoindre à l’organisation professionnelle condamnée de lancer un appel à contribution pour couvrir le montant de la sanction pécuniaire, sachant qu’en cas de défaut de paiement intégral à l’issue de l’appel à contribution, l’Autorité de la concurrence pourra exiger directement le paiement de l’amende par toutes les entreprises dont les représentants étaient membres des organes décisionnels de l’organisme professionnel. Et, à titre subsidiaire, l’Autorité pourra encore exiger le paiement du montant restant de l’amende par tous les membres de l’organisme qui étaient actifs sur le marché concerné, avec une dérogation pour les entreprises qui démontreront qu’elles n’ont pas appliqué la décision incriminée de l’organisme, qui en ignoraient l’existence ou qui s’en sont activement désolidarisées avant l’ouverture de l’enquête.
Tout ceci naturellement sans compter les mesures de publication et d’information au titre de la sanction prononcée.
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Pour être bref, attention car le temps de la clémence, sans jeu de mots, est bien terminé et l’Autorité avec la publication de cette étude très complète, d’une rare densité, entend parfaitement informer l’ensemble des acteurs concernés que le terrain de jeu a des règles strictes et qu’en cas de non-respect de celles-ci, alors les sanctions pourront être d’un niveau inégalé à ce jour et concerner l’organisation professionnelle poursuivie et condamnée, ainsi que ses membres directement.
C’est donc un message particulièrement clair que souhaite donner l’Autorité française de concurrence en publiant une telle étude.
[1] Décision n° 15-D-19 du 15 décembre 2015