En cette période de sècheresse agricole marquée, les cultures administratives se portent bien comme le démontre la publication fin juillet des lignes directrices sur l’application du droit de la concurrence à l’agriculture et sur la prise en compte des indicateurs ; ces lignes directrices étaient dans leur ensemble très attendues par les opérateurs économiques.
Si les premières sont d’une particulière richesse, avec un effort pédagogique très marqué afin que les opérateurs économiques puissent facilement comprendre ce qu’ils peuvent faire mais aussi les limites à ne pas franchir (I), tel n’est peut-être pas le cas des secondes relatives à la prise en compte des indicateurs dans les contrats aval avec une focalisation délibérée, peut-on penser sur certains points uniquement, qui, il est vrai, étaient au cœur de nombreux débats depuis plus de 18 mois (II).
I – Sur l’application du droit de la concurrence au secteur agricole :
Il n’est pas inutile de rappeler que le droit de la concurrence n’est pas absent du secteur agricole ; loin s’en faut et la célèbre affaire dite des endives est là pour nous le rappeler, même si cette affaire a fait évoluer le droit européen de la concurrence avec le célèbre Règlement Omnibus du 13 décembre 2017 qui a modifié le Règlement OCM du 17 décembre 2013. Ainsi que le rappelle l’administration, ces lignes directrices sont destinées à fournir aux acteurs du secteur agricole un support pédagogique sur les exigences de respect du droit de la concurrence dans des conditions spécifiques aux secteurs prévus par le Règlement OCM et elles constituent un outil d’accompagnement pour la mise en œuvre de la loi Egalim du 30 octobre 2018, le tout dans un contexte de sécurisation juridique des acteurs, avec un double objectif, celui de rappeler les règles de concurrence mais également de ne pas brider inutilement les acteurs des différentes filières concernées compte tenu des dérogations pouvant exister à l’application générale des règles de concurrence.
Ces lignes directrices sont présentées sous la forme de fiches pratiques particulièrement bien rédigées. Nous ne reviendrons pas sur la fiche n°1 qui traite de la définition des pratiques anticoncurrentielles, à savoir les ententes et les abus de position dominante, étant toutefois précisé que plusieurs paragraphes sont consacrés à l’exemption par catégorie appliquée aux démarches dites tripartites qui ne sont pas des contrats associant trois parties en tant que telles, mais une succession de contrats bipartites prévoyant un volume de production, des prix d’achat, des éléments de détermination de ces prix et enfin la durée de l’engagement contractuel, contrats respectivement signés entre, d’une part, le producteur et le distributeur et, d’autre part, entre le transformateur et le distributeur.
L’administration considère que ces accords ne sont pas susceptibles a priori de soulever des préoccupations de concurrence dès lors que les parties ne dépassent pas le seuil de 30% de part de marché et que l’accord ne contient pas de restriction caractérisée, telle que l’imposition de prix de vente par un fournisseur ou des restrictions territoriales.
La question du contrat tripartite associant effectivement trois parties dans le même acte n’est toutefois pas traitée dans ces lignes directrices a priori ; or, certaines démarches ont pu envisager la conclusion d’un tel contrat réellement tripartite.
Après ce rappel, la fiche n°2 traite de l’application du droit de la concurrence au secteur agricole en rappelant la très complexe conciliation devant ou pouvant exister entre l’agriculture et le droit de la concurrence car le secteur agricole ne bénéficie pas en tant que telle d’une exonération d’application des règles de concurrence même si la primauté de la Politique Agricole Commune (PAC) permet au législateur de l’Union de décider dans quelles mesures les règles de concurrence s’appliquent ou non au secteur agricole ; c’est tout l’objet mais aussi l’objectif de la Règlementation OCM.
C’est ainsi que les articles 101 et 102 du TFUE qui prohibent respectivement les ententes de nature anticoncurrentielle et les abus de position dominante s’appliquent, en principe, à toutes les activités économiques des producteurs et des organisations de producteurs.
La fiche n°3 envisage les possibilités d’actions pour les producteurs agricoles et plus précisément pour les OP et AOP reconnues, ce qui signifie que des pratiques en principe proscrites par les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce sont, à certaines conditions strictement encadrées, expressément autorisées par le Règlement OCM (cf. article 152 § 1bis). Des conditions spécifiques au secteur du lait demeurent comme chacun le sait.
Toutes les OP et AOP reconnues dans les secteurs couverts par l’annexe I du Règlement OCM qui concentrent l’offre et exercent réellement une activité d’intégration économique, peuvent ainsi mettre sur le marché et négocier les contrats concernant l’offre de produits agricoles au nom des agriculteurs qui en sont membres, que le prix négocié soit ou non identique en ce qui concerne la production apportée en totalité ou en partie par les membres et qu’il y ait ou non transfert de propriété.
Ces OP et AOP peuvent également planifier la production et optimiser les coûts de production. Certaines autres dérogations existent également mais ne seront pas traitées dans cette note d’actualité.
La fiche n°4 traite des possibilités d’actions pour les organisations interprofessionnelles en synthétisant les pratiques possibles telles que l’établissement de contrats type avec une demande d’extension à l’autorité administrative, la rédaction de clauses type de révision des prix et de lissage des prix ou des clauses de renégociation du prix notamment.
Il peut s’agir également de la rédaction d’une guide de bonnes pratiques en matière de contractualisation ou bien encore de clauses type facultatives de répartition de la valeur ajoutée entre les producteurs et leurs premiers acheteurs.
En revanche, parmi les pratiques strictement interdites, il faut notamment citer la négociation et la fixation de prix de vente ou d’achat des produits ou bien encore de la marge, quel que soit le stade de commercialisation des produits ou bien encore le fait de donner des consignes ou recommandations de prix à la production ou de rendre obligatoire l’application d’indicateurs de référence.
Une partie des lignes directrices est consacrée également à la régulation des volumes dans les secteurs spécifiques des fromages et des jambons sous signe de qualité ou bien encore dans le secteur du vin.
Dans les annexes qui clôturent ces lignes directrices, l’attention doit être appelée sur les notions d’objet et d’effet anticoncurrentiels, notions qui peuvent être parfois difficiles à appréhender pour les opérationnels, avec des exemples concrets tirés de la pratique décisionnelle des autorités de concurrence. Une annexe est également consacrée à la reconnaissance des OP et des AOP et aux organisations interprofessionnelles, sans oublier l’annexe 6 consacrée aux conditions spécifiques au secteur du lait et aux produits laitiers. Une dernière annexe vient terminer ces lignes directrices en rappelant l’articulation des pouvoirs entre la DGCCRF et l’ADLC, rappelant leur complémentarité. Message subliminal peut-être mais que les opérateurs économiques doivent avoir à l’esprit …
II – Lignes directrices sur la prise en compte des indicateurs dans la chaîne contractuelle :
On se souvient que l’article L. 443-4 du Code de commerce issu de l’ordonnance du 24 avril 2019 qui a réformé le droit de la négociation commerciale et celui des pratiques restrictives de concurrence généralement entendues, et qui s’est appliqué aux conventions annuelles conclues au titre de l’année 2020 (première année d’application en conséquence de ces nouvelles dispositions) précise ce qui suit :
« I.- Pour les produits agricoles ou les produits alimentaires comportant un ou plusieurs produits agricoles, lorsque les indicateurs énumérés au neuvième alinéa du III de l’article L. 631-24 et aux articles L. 631-24-1 et L. 631-24-3 du code rural et de la pêche maritime ou, le cas échéant, tous autres indicateurs disponibles dont ceux établis par l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires existent, les conditions générales de vente mentionnées à l’article L. 441-1 du présent code, ainsi que les conventions mentionnées aux articles L. 441-3, L. 441-4, L. 441-7 et L. 443-2 y font référence et explicitent les conditions dans lesquelles il en est tenu compte pour la détermination des prix.
II.- Tout manquement aux dispositions du I est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale.
Le maximum de l’amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et 750 000 € pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive. »
Certaines questions se sont immédiatement posées aux opérateurs économiques qui avaient entre les mains une patate chaude pour demeurer dans le monde agricole dont ils ne savaient absolument pas quoi faire et dont le petit jeu était soit de la renvoyer à l’amont vers son propre fournisseur, soit à l’aval vers son client, distributeur.
La question qui s’est notamment posée portait sur la précision des indicateurs devant figurer dans les CGV et les conventions annuelles ; de quels indicateurs s’agit-il et où les trouver pour faire simple ?
L’administration répond à cette double question ainsi qu’il suit :
« Dans une logique de sécurité juridique, le terme « existent » signifie que les opérateurs peuvent facilement avoir accès aux indicateurs mentionnés, ce qui est le cas dans les exemples suivants : – ils ont été diffusés, notamment par une mise en ligne sur le site internet, par le biais de l’interprofession, de l’Observatoire de la formation des prix et des marges ou de tout autre organisme, étant entendu que la diffusion limitée aux seuls adhérents de l’interprofession ne peut être considérée comme une diffusion publique au sens de l’article L. 632-2-1 du code rural et de la pêche maritime ; – l’acheteur y a facilement accès du fait de son contrat avec le producteur dans lequel les indicateurs ont été intégrés. ».
Nous voilà fixés ! Et attention car les indicateurs doivent bien être précisés dans les contrats aval tels une convention annuelle avec un distributeur et ce, alors même qu’il n’y en aurait pas à l’amont mais que par contre ces indicateurs ont bien été publiés par une interprofession, sauf à pouvoir donner les raisons légitimes pour lesquelles ces indicateurs n’ont pas été pris en compte.
Mais une autre question se posait alors immédiatement qui était celle de savoir ce que signifiait le terme « expliciter les conditions dans lesquelles il en est tenu compte pour la détermination des prix ».
Il était bien évident que le fournisseur n’allait certainement pas donner sa structure analytique reflétant précisément la décomposition de son prix d’achat ; il y a tout de même un principe de secret des affaires et de confidentialité de ses données économiques.
Là encore l’administration répond mais cette fois en plusieurs temps :
« – A quoi fait référence le terme « prix » ? L’article vise bien les contrats suivants : – les CGV (article L. 441-1 du code de commerce). Pour ce document contractuel, socle unique de la négociation commerciale, « le prix » est le prix tarif tel qu’il résulte des CGV. – Les conventions uniques (articles L. 441-3 et L. 441-4 du code de commerce) pour tous secteurs et pour les conventions portant sur des produits de grande consommation. Pour ces contrats, le « prix » est le prix convenu à l’issue de la négociation commerciale. Il en est de même pour les conventions des articles L. 441-7 et L. 443-2 du code de commerce. ».
« – La notion « expliciter » les conditions dans lesquelles il est tenu compte des indicateurs pour la détermination des prix englobe-t-elle l’hypothèse où il n’est pas possible d’expliciter ? Cette question fait concrètement référence à l’hypothèse dans laquelle un vendeur ne pourrait pas tenir compte des indicateurs pour des raisons légitimes. Dans cette hypothèse, il faut considérer que ce vendeur pourrait dans ses CGV préciser les raisons légitimes justifiant que les indicateurs n’ont pas été pris en compte dans la détermination de son prix. En tout état de cause, ce point devra être expressément expliqué et justifié dans le contrat (les CGV, les conventions uniques, etc.). A contrario, dès lors que des indicateurs sont utilisés dans le contrat, leur utilisation doit être explicitée. »
Et afin de rassurer les opérateurs économiques, l’administration rappelle que la loi Egalim ne contraint pas à une transparence totale :
« […] La loi ne vise pas à une transparence excessive sur la détermination du prix des industriels (révélant ainsi leurs marges et leurs stratégies industrielles) et l’opérateur n’a pas besoin de connaître les détails de la construction des prix de son co-contractant. En ce sens, la loi n’exige pas de donner la formule de prix ou la construction précise des coûts de production, mais simplement de fournir des indicateurs et d’expliciter comment il en est tenu compte. »
Nous voilà rassurés !
Une autre question était sous-tendue dans de nombreuses discussions dès lors que si nous prenons l’exemple d’une pizza, celle-ci est composée d’une multitude d’ingrédients dont certains le sont davantage à titre principal que d’autres.
L’administration répond également en pure logique d’ailleurs ce que nous avions pu nous-même indiquer à différents opérateurs économiques, à savoir qu’il est nécessaire de retenir une optique pragmatique et opérationnelle conforme à l’esprit de la loi Egalim et que dès lors, seuls les produits agricoles principaux doivent être référencés et pris en compte dans la détermination du prix ; les opérateurs pourraient ainsi mentionner les indicateurs retenus par ordre d’importance ou ne préciser que ceux réellement déterminants dans la construction du prix (les produits agricoles significatifs en termes de quantité ou de prix, c’est-à-dire, à titre d’exemple non exhaustif, les ingrédients principaux ou ceux dont le prix est élevé). Il conviendra alors de l’expliciter et de le justifier dans le contrat.
Deux autres questions sont ensuite envisagées dans le cadre d’une vente transfrontalière : tout d’abord le cas de la vente de produits agricoles par un producteur étranger à un opérateur économique français qui constitue donc un premier acheteur – quelles obligations ?
L’administration est très prudente sur l’application des dispositions du Code rural et du Code de commerce dans un environnement international car il convient de déterminer si ces dispositions relèvent d’une loi de police ou pas, ce qui est particulièrement complexe comme l’a rappelé la Cour d’appel de Paris – Chambre Commerciale Internationale – le 3 juin 2020, en concluant à ce que certaines dispositions du Titre IV du Livre IV du Code de commerce ne relevaient pas nécessairement d’une loi de police. Pour autant s’il s’agit d’une loi de police, ce premier acheteur est bien soumis au dispositif protecteur issu du Code rural.
Autre question qui porte cette fois sur la revente par un opérateur économique situé en France à l’un de ses clients situé à l’étranger : l’administration rappelle simplement que les CGV de cet opérateur économique français doivent préciser les indicateurs envisagés ci-dessus mais que bien entendu l’administration française ne peut pas forcer un client situé à l’étranger à tenir compte ou non des indicateurs qui figureraient dans lesdites CGV ; il s’agit là de pur pragmatisme, rappelant à cet égard qu’il ne s’agit pas de freiner les exportations dont on a bien besoin aujourd’hui.