Le 3 avril 2020, la Commission européenne a publié sa feuille de route pour évaluer s’il convient ou non d’actualiser la Communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence du 9 décembre 1997. La nécessité de moderniser les textes européens en droit de la concurrence, et en particulier cette communication de plus de vingt ans, a été soulevée par plusieurs critiques à la suite de l’interdiction, en février 2019, du projet d’acquisition d’Alstom par Siemens.
Margrethe Vestager, commissaire européenne chargée de la politique de la concurrence, a semble-t-il été sensible aux critiques qui dénonçaient des règles de concurrence européennes vétustes et incapables de répondre aux enjeux économiques actuels, en prononçant un discours remarqué intitulé « Defining markets in a new age » en décembre 2019. Selon la commissaire, les marchés ont considérablement évolué et ne fonctionnent plus comme en 1997. En cause, la mondialisation et la digitalisation de notre économie qui engendrent un élargissement des marchés géographiques et posent des questions inédites s’agissant de la définition de nouveaux marchés de produits. Il existe également aujourd’hui des outils plus performants et précis pour délimiter un marché pertinent. Il était donc temps de réviser la Communication sur la définition du marché.
Cet outil de soft law, utilisé par la Commission européenne mais servant également de référence aux autorités nationales de concurrence des Etats membres, a pour objet d’expliquer la manière dont la Commission applique les concepts de marché de produits et de marché géographique en cause dans la mise en œuvre du droit de la concurrence européen. La définition du(des) marché(s) de produits ou de services, et du(des) marché(s) géographique(s) est un préalable incontournable à toute analyse concurrentielle, que ce soit en matière de pratiques anticoncurrentielles (articles 101 et 102 TFUE) ou en matière de contrôle des opérations de concentration (Règlement (CE) N°139/2004). Elle permet de délimiter le terrain de jeu sur lequel les entreprises se font concurrence, indispensable à l’identification des concurrents actuels et potentiels et à la détermination de leurs parts de marché.
La délimitation du marché en cause influence directement les conclusions des autorités de concurrence lors de l’examen de la compatibilité de pratiques ou d’opérations de concentration aux règles de droit de la concurrence. Dans l’affaire Siemens / Alstom, plusieurs commentateurs ont soutenu que la Commission européenne n’aurait d’ailleurs pas dû se limiter à une analyse des marchés de la signalisation grandes lignes et des trains à très grande vitesse au niveau de l’espace économique européen, mais aurait dû prendre en compte la pression concurrentielle exercée par la Chine en élargissement la définition du marché géographique.
Les objectifs exprimés dans la feuille de route publiée le 3 avril dernier par la Commission européenne sont d’analyser l’effectivité, l’efficacité, la pertinence, la cohérence et la valeur ajoutée de la Communication sur la définition du marché. Pour cela, la Commission souhaite recueillir des informations sur l’utilisation et les difficultés rencontrées par les acteurs qui manipulent cet outil. Cette évaluation devrait donc mettre à contribution et intéresser des parties prenantes variées : les autorités nationales de concurrence européennes et étrangères, les entreprises actives au sein de l’UE et leurs organisations professionnelles, les consommateurs et les associations de consommateurs, la communauté académique spécialisée en concurrence et les conseils (juristes et économistes).
L’évaluation de l’effectivité, de l’efficacité, de la pertinence et de la cohérence de la Communication nécessitera une analyse de la jurisprudence des juridictions européennes et de la pratique décisionnelle de la Commission européenne et des autorités de concurrence nationales depuis l’adoption de la Communication en 1997, ainsi qu’une revue de la doctrine économique et juridique sur les principes et la pratique en matière de définition des marchés. L’évaluation requerra également de consulter d’autres agences et experts internationaux, en dehors de l’Union européenne. Enfin, une étude de l’évolution des marchés et des techniques, dans un contexte de mondialisation et de digitalisation de l’économie, sera également nécessaire pour tenir compte des nouvelles pressions concurrentielles s’exerçant sur les entreprises. L’étude de la valeur ajoutée de la Communication sera principalement débattue avec les autorités nationales de concurrence dans le cadre du Réseau Européen de Concurrence (REC).
L’évaluation de la Communication se déroulera en deux temps : une consultation publique d’au moins 12 semaines au deuxième semestre 2020, suivie d’une conférence ou d’un atelier de travail regroupant experts techniques et représentants des principales parties prenantes. En parallèle, les discussions avec les autorités nationales de concurrence des Etats membres se dérouleront dans le cadre des différents Working Groups du REC. Un rapport synthétisant les conclusions des activités de consultation sera annexé au document de travail de la Commission. La révision de la Communication est quant à elle prévue pour le deuxième semestre 2021.
Pour l’heure, les entreprises et les parties prenantes sont appelés à donner leur avis sur la feuille de route de la Commission avant l’ouverture de ce grand chantier. Ils ont jusqu’au 15 mai 2020.